

Cela ne vous aura pas échappé, la musique classique est devenue extrêmement sexy, au point d’écouter avec les yeux ?
Les 25ème Victoires de la Musique Classique le confirmeront, la « glamourisation » du classique ne cesse de s’accentuer. Sur scène vendredi : l’abrasive mezzo-soprano Anita Rachvelishvili, la toujours plus fatale chef d’orchestre et soprano Barbara Hannigan, le ténébreux violoncelliste Gautier Capuçon qui concourt pour le titre de meilleur soliste instrumental, ou encore la renversante soprano Sabine Devielhe, en lice pour le titre de meilleure artiste lyrique. Autant de grands talents classiques, l’effet festival de Cannes en plus.
Quant aux disques de musique classique, vous l’aurez remarqué, les pochettes ont changé, les images le plus souvent abstraites qui évoquaient davantage l’oeuvre ont été remplacées par des photos des interprètes. Bien sûr une Callas, une Jessye Norman ou un James Bowman sur une pochette, nous en avions vus auparavant, mais un cap a été franchi. Un glissement vers la mise en scène romantique et sensuelle… Si l’on songe encore à Gautier Capuçon et son disque « Intuition » : il apparaît sur la pochette en gros plan, l’air imprégné façon néo Julien Sorel sur fond de montagnes en surimpression.
Et alors ? L’artiste de classique et de lyrique comme une star de pop ou de variété pourquoi pas. Notamment pour relancer un secteur qui jusqu’aux deux dernières années avaient vu ses ventes globales baisser pendant 15 ans. Mais à force de vouloir des icônes ne sombrerait-on pas dans les mêmes travers stéréotypés ? Et va-t-on se mettre à écouter avec les yeux plus qu’avec les oreilles ?
La question se posait récemment à propos de l’opéra dans un article du site Slate signé d’Aliette de Laleu journaliste à France Musique. Avec ce sous-titre : « pour faire carrière, il ne suffit plus d’avoir une belle voix : les artistes lyriques doivent aussi être minces, jeunes, sportifs et attirants ». Témoignage de la chanteuse lyrique Lisette Oropesa à l’appui, expliquant que désormais les rôles ne s’attribuaient plus en fonction de la voix mais du physique. « (Les directeurs de casting ou les metteurs en scène) qui voient une jeune et belle femme vont vouloir l’entendre chanter de jolis rôles de bel canto, même si la voix ne correspond pas » selon elle. Et si c’est un homme plutôt large on lui proposera un Falstaff ou un Don Giovanni. En somme dans une audition, on n’a parfois même plus le temps d’ouvrir la bouche.
En plus d’une potentielle dérive dans l’attribution des rôles à des voix qui ne leur correspondraient pas, quand la concurrence est rude sur le même registre de voix, comme les "soprano colorature", le physique aurait tendance à primer sur le lyrique. Et le monde du classique se plierait à des normes qui par ailleurs volent de plus en plus en éclats dans les autres arts et dans la société.
Un débat qui mérite d’être lancé. En posant ces deux présupposés :
Premièrement pour la voix il n’y a ni dogme de l’opulence ni dogme de la maigreur qui tienne, car tout dépend davantage de la façon dont l’artiste a appris à chanter. En s'appuyant sur sa masse ou sur ses muscles de traverse. Et deuxièmement, la grande sensualité plastique de certaines nouvelles stars du classique ne saurait voiler de suspicion leur talent. Jonas Kaufmann aussi sublime soit-il, est avant tout une des plus grandes voix.
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