

"Phantom Thread" son huitième long métrage est un classique éternel. Cette histoire d’amour entre un couturier des années 50 et sa muse sort de nulle part et n’a rien d’un biopic, tant mieux.
Aux Etats-Unis le concept de « classique instantané » désigne une œuvre qui dépasse le gros évanescent de la production pour devenir une référence immédiate. Le huitième long métrage de Paul Thomas Anderson, réalisateur entre autres de Boogie Nights, Magnolia ou There Will be Blood a tout du classique instantané, et même plus. L’appellation ayant été quelque peu galvaudée, il faut se risquer au pléonasme : Phantom Thread est un classique éternel.
Et comment y parvient-on aujourd’hui à Hollywood ? Commencez par un contexte de production où la rentabilité du film n’est pas un critère. Annapurna Pictures fondée par la riche héritière Megan Ellison n’a que faire du flop de The Master autre classique éternel, du même Paul Thomas Anderson, et ses 16 millions de dollars perdus. La société production mise sur Phantom Thread comme on édite un livre auquel on croit. Cette histoire d’amour entre un couturier des années 50 et sa muse sort de nulle part, et n’a rien d’un biopic. Tant mieux voilà deux points de départ salutaires.
Paul Thomas Anderson ou P.T.A l’a dit « l’histoire est très mince, on peut la tenir entre ses mains, comme un tissu ». Le reste n’est que littérature... C’est-à-dire tout pour P.T.A qui est le scénariste, le réalisateur et le directeur de la photographie de son film.
Ce qui fait de Phantom Thread un classique éternel, c’est que ce « fil fantôme », pour traduire le titre en français, est un fil littéraire. C’est ce moment où le cinéma à l’instar de la littérature invente des personnages canoniques et une mise en scène à revoir comme on relit les pages d’un livre pour s’émerveiller dans la phrase couchée, des mille et un détails qui nous avaient échappés.
Reynolds Woodcock, personnage incarné par et co-écrit avec Daniel Day Lewis, est un créateur maniaque obsessionnel (double fictionnel du réalisateur), qui ne supporte pas un bruit de tartine le matin car vous comprenez « si le petit déjeuner se passe mal il ne s’en remettra pas de la journée » comme le rappelle sa sœur, vieille carne desséchée gouvernant la maison de couture, et la maison tout court.
Mais c’est aussi un enfant hanté par sa mère dont il garde une photo cousue dans sa poche, et enfin une sorte de Barbe Bleu relationnel qui se débarrasse les unes après les autres des muses qui ont donné corps à son inspiration. Jusqu’à Alma « orpheline dickensienne » comme la décrite Thomas Sotinel dans Le Monde, et figure du renversement qui brise la dialectique du maître et de l’esclave.
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Quoi que tu fasses, fais le avec soin.
Si Phantom Thread est classique éternel, c’est qu’il pose la question de la création, qui exige de vous l’investissement absolu, et qui vous consomme. Mais l’Art dévore le maître qui dévore sa maîtresse jusqu’à un certain point : ce moment où elle crée à son tour et où ils acceptent de se dévorer l’un l’autre, en alternance. Pas question d’en faire une fable circonstanciée sur l’empowerment féminin, il s'agit de monter qu’aimer c’est inventer, aussi fou soit-il, ce point d’égalité.
Enfin le classique éternel de Phantom Thread, tient à un paradoxe qui n’a rien à voir avec celui du comédien de Diderot, selon lequel l'acteur convaincant serait celui capable d'exprimer une émotion qu'il ne ressent pas. À l'inverse Daniel Day Lewis ou D.D.L pratique, on le sait, l’immersion extrême dans chacun ses rôles, et a cousu des mois avant de devenir Reynolds Woodcock. Le paradoxe c’est que choisir D.D.L, c’est provoquer potentiellement la fin à sa carrière. Comme il l’a annoncé d’ailleurs (une nouvelle fois) après le tournage, face au vide insurmontable que laisse chacun de ses personnages derrière lui. Aussi assiste-t-on à une performance qui est peut-être la dernière, et qui boucle la mise en abyme de ce film sur ce que créer veut dire.
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