Les signaux se multiplient en ce sens mais restent encore quelques pièges à éviter.
Difficile de ne pas voir, sur le tarmac de la culture, ces grands gestes qui tentent de faire atterrir le jeu vidéo parmi les autres aéroplanes de l’art. Après l’architecture, la sculpture, les arts plastiques, la musique, la littérature, les arts de la scène, le cinéma, la photographie, et la bande dessinée, le jeu vidéo pourrait bientôt devenir le 10ème art. En tous cas de nombreux signaux convergent dans cette direction.
Tout d’abord, le mois du juin a été marqué en France par deux annonces importantes dans ce sens. La création d'une bourse du Centre national du cinéma et de l'image animée (le CNC) soutenant la création de jeu vidéo et l'annonce de l'organisation de la première édition des Pégases du jeu vidéo en 2020.
Pour la troisième édition du congrès annuel du jeu vidéo français, à Lille cette semaine, c’est l’institutionnalisation et la légitimation qui était au cœur des échanges de la naissante « Académie des arts et techniques du jeu vidéo » collège crée ad hoc, sur le modèle de l’Académie des Césars, afin de voter pour les futures récompenses.
Positionner le jeu vidéo en tant qu’art dans une sorte de continuum historique telle est l’ambition affichée « Le jeu vidéo est au XXIe siècle ce que le cinéma a été au XXe » clament les organisateurs. La légitimation du jeu vidéo, passera donc par ce vieil ancêtre apparu à la fin du XIXème siècle, cet art forain, ce divertissement populaire, qui a gagné progressivement ses lettres de noblesses au XXème siècle.
A Lille cette semaine, le projet prenait forme avec la présentation détaillée des 19 catégories de ces futurs Pégases d’or organisés à l’initiative du syndicat du national du jeu vidéo et du CNC. Sans être exhaustif citons entre autres : le meilleur univers, le meilleur personnage, la meilleure expérience narrative, le meilleur univers sonore, mais aussi le meilleur « jeu à message ». Premier problème!
On imaginerait assez mal une catégorie « meilleur film tract ». Comme si l’analyse du monde, l’engagement, l’utopie, la dystopie ne filtraient pas déjà à travers de nombreux films et de nombreux jeux. Par ailleurs, la catégorie « meilleur influenceur » reviendrait à remettre au César une récompense pour le meilleur film institutionnel ou la meilleure pub.
Curieux mélange des genres, ce refus d’étanchéité entre les applications de la discipline qui relèvent de la communication et les propositions artistiques, brouille le message justement. Une dérive structurelle puisque cet élan de légitimation est aussi le fruit d’un activisme corporatiste.
Quant à la catégorie « meilleur jeu indépendant » elle ne semble pas encore définie, tout simplement parce qu’elle reviendrait à faire un « César du meilleur film d’auteur », ce qui n’a pas de sens, et va contre l’évolution du cinéma vers la suppression d’une dichotomie de principe entre élitisme d’art et d’essai, et productions populaires.
Plus embêtant encore : dans les 19 catégories retenues reste un grand absent « le prix du meilleur scénario ». Pourtant, les scénaristes de jeux vidéo, avec leur habilité à proposer de nouvelles narrations et de nouveaux principes de fiction, dans des univers notamment linéaires et pas seulement en monde ouvert, sont précisément la catégorie qu’il faudrait valoriser pour rapprocher le jeu vidéo du statut de 10ème Art.
La discipline a certes atteint un degré d’expression divers et de mise en perspective suffisamment vaste, mais aussi une dimension patrimoniale et institutionnelle suffisamment importante pour y prétendre, seulement, il faudra trier intelligemment, si l’on veut regarder un jour les premiers « Super Mario » comme les premiers films des frères Lumières !
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