La première comédie musicale française à l'américaine fête ses 50 ans, et reste d'une modernité franche sous des dehors « cucu » et des robes pastels.
« Immarcescible » : qui ne se flétrira jamais. C’est ce qui me venait jusqu’ici à propos des « Demoiselles de Rochefort », première comédie musicale française à l’américaine, dont on célèbre le jubilé cette année. Ecrit et réalisé par Jacques Demy, composé et orchestré par son « frère de cœur », Michel Legrand, le film est d’abord immarcescible parce que la joie tourbillonnante des couleurs et les envolées de la musique ne flétriront jamais. Tout comme ces demoiselles. Et tout comme la bande des cassettes de travail de Michel Legrand et Jacques Demy, lorsqu’ils donnèrent naissance à « la chanson des jumelles ».
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Ce sont les improvisations du scat des années 60 qui résonnent encore, et le rire gourmand de la création à quatre mains. Demy les mots, Legrand la musique. À l’écran cela nous donne, en capeline rose Catherine (Dorléac) Deneuve avec la voix d’Anne Germain, et en capeline jaune, Françoise Dorléac avec la voix de Claude Parent.
« Nous sommes deux sœurs jumelles, Nées sous le signe des gémeaux, Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do, Toutes deux demoiselles, Ayant eu des amants très tôt ».
L ’immarcescibilité des « Demoiselles de Rochefort » tient également à la modernité franche qui s’en dégage sous des dehors « cucu » et des robes pastels. Rigolardes, aventureuses, les demoiselles ont donc eu des amants très tôt. Et la chasteté inhérente à la demoiselle s’envole en l’air de rien. Les hommes, eux, sont loin des héros « virilistes », tout en douceur et en couleur : du rose bonbon, du violet parme, du bleu dragée. On en mangerait. Sauf le galeriste en carmin, figure sinistre.
C’est en lisant le récent ouvrage que consacrent les demi-sœurs Wolinski, Elsa et Natacha, aux « Demoiselles de Rochefort » que le film a pris pour moi une autre dimension. Et si « Les demoiselles de Rochefort » était aussi une œuvre sur le deuil ? Les réminiscences heureuses de leur père, Georges Wolinski, assassiné lors de l’attentat qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo en 2015 remontent au fil des pages, comme une joie qu’on abattra jamais. Mais c’est à travers leur analyse du film qu’on comprend qu’il y a là dans la pellicule et la musique des clefs pour se reconstruire. C’est flagrant à travers le traitement de la ville de Rochefort dont Natacha Wolinski montre la métamorphose. Une ville qui se ré-ouvre à la vie. « La géométrie cartésienne accueille le balais souple des corps » note-t-elle. Agnès Varda moitié de Jacques Demy qui photographie et filme le tournage ne dit pas autre chose : « dans cette ville avec son architecture rigoureuse et militaire Jacques imaginait déployer des arabesques de sentiment ». La ville de garnison fend l'armure, et se réinvente par les couleurs : 40 000 mètres carrés de façades et milles volets repeints. Comme on repeint sa vie. Enfin, sous les yeux et les mots d’Elsa Wolinski, le film incarne bien sûr celui d’une Françoise Dorléac éternellement vivante, bien que disparue tragiquement l’année de la sortie. Mais s’impose aussi comme une ode à la réinvention de soi. Pour elle, Jacques Demy repense la famille avant l'heure et « nous donnes le luxe de changer plusieurs fois de vies et de les assumer toutes ».
Ainsi je terminerai en disant que si les « Demoiselles de Rochefort » ne flétriront jamais, c’est qu’elles nous donnent la sève, à travers les épreuves, de revivre plus fort.
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