

Sara Danius « rend son fauteuil » l’expression a aussitôt fait le tour de la presse européenne. Rendre son fauteuil comme on rend son tablier ?
Dernier rebondissement dans le scandale du Nobel de Littérature et de l’Académie suédoise : celle qui avait été la première femme à occuper le poste de secrétaire perpétuelle, et qui avait limogé en avril dernier, a également « renoncé à son fauteuil de membre » comme elle l’a annoncé hier.
Un fauteuil symbolique puisque c’était celui de la première femme élue à l’académie - Selma Lagerlöf auteure du "Merveilleux voyage de Nils Holgersson" - comme Sara Danius le rappelait, ajoutant : « ce fut un honneur ».
Nul besoin de savoir bien lire entre les lignes protocolaires pour comprendre que le rappel de cette filiation n’a évidemment rien d’anodin.
Pour mémoire dans les épisodes précédents, de ce qu’on pourrait qualifier de « triste roman du Nobel de Littérature », une affaire d’agressions sexuelles et de réseaux d’influences a éclaté à l’Académie suédoise en décembre 2017. Provoquant, chose rare à Stockholm, des manifestations…
C’était dans le sillage du mouvement #MeToo. Jean-Claude Arnault, éminence grise du Nobel, et mari de l'une des académiciennes (la poétesse Katarina Frostenson) était mis en cause. On parlait alors de favoritisme au sujet du financement du centre culturel de Monsieur Arnault par l’Académie, mais aussi de plusieurs cas d’« intimité non désirée ». Depuis, le dit Arnault, surnommé « le Weinstein suédois », a été condamné en appel à deux ans et demi de prison ferme pour le viol à deux reprises de l’une des signataires de la tribune qui dénonçait le scandale.
Dans cette affaire, Sara Danius, avec sa lavallière légendaire dont s’affublaient les manifestantes, était devenue l’icône du combat contre le patriarcat et la culture du silence qui entourait les abus de Jean-Claude Arnault.
Lorsqu’elle occupait encore les fonctions de secrétaire perpétuelle elle avait en effet réagi en demandant une enquête interne confiée à un cabinet d'avocats. Mais une majorité d’académiciens a refusé les conclusions de cette enquête. Renouvelant dans la foulée leur confiance à l’académicienne épouse de Monsieur Arnault, ce qui provoquera la démission de « trois immortels » en désaccord avec cette décision. Pour ne rien arranger, Sara Danius était limogée, et le prix Nobel, faute votants, reporté à l’année suivante.
Au vrai, si Sara Danius rend désormais son fauteuil comme on rend son tablier cela n’a rien d’étonnant. Après avoir tenté de changer les choses, y compris sur le plan de l’histoire littéraire, à travers le sacre de la bellarusse Svetlana Alexievitch et celui du song writer Bob Bylan, la voici donc qui renonce.
Comme elle avait l’avait d’ailleurs annoncé il y a quelques mois après son limogeage : « C’est la volonté de l’Académie … J’ai aussi décidé de laisser mon fauteuil, le numéro 7… J’aurais volontiers continué mais il y a autre chose à faire dans la vie !» Cette agent 007 en mission pour sortir l’Académie de son bourbier misogyne et réfractaire, était son membre le plus populaire. Si les fauteuils vacants seront bientôt remplacés par des femmes, a-t-on annoncé, le départ de Sara Danius et pas de ceux qui l’auront poussée vers la sortie reste un très mauvais signe.
Elle, l’essayiste, qui avait publié plusieurs études consacrées au lien entre littérature et société, notamment chez Balzac, Stendhal, Flaubert, Proust ou encore Joyce, fera peut-être enfin de cet épisode un roman salutaire.
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