

Un bleu gangster ? Si le «bleu Klein » agit comme une matière vivante qui vous précipite dans l’abstraction, le bleu de Jacques Monory agit comme un filtre à travers lequel se projettent des histoires glaçantes.
Tandis que les réseaux sociaux bruissaient autour du « clair-obscur » de l’allocution présidentielle : Le Tintoret ? Rembrandt ? D’où venait l’inspiration d’un tel éclairage ? Un des grands maîtres de la figuration narrative disparaissaient dans le bleu nuit : Jacques Monory.
Si l’on sait maintenant que l’image présidentielle s’est laissée surprendre par le decrescendo lumineux d’une fin d’après midi d’automne, le peintre Jacques Monory nous laisse un bleu riche en interprétations.
"La couleur bleue, de façon quasi exclusive, aura été sa signature et ses toiles monochromes au rendu proche de la photographie forment comme un long panoramique empreint d’une mélancolie virant parfois au cauchemar" écrit sa veuve Paule.
Quel était ce « bleu Monory » ? Si le «bleu Klein » agit comme une matière vivante qui vous précipite dans l’abstraction, le « bleu Monory » agit comme un filtre à travers lequel se projettent des histoires glaçantes. Une différence fondamentale qui symbolise, d’un bleu à l’autre, ces années 60 où la figuration narrative débarque en réaction au règne de l’art abstrait.
Le bleu de Monory est un bleu social comme a pu l’être celui de Picasso, dans ces premières années à Paris, ce bleu « qui nous meurtrit d’un froid bref » écrivait Apollinaire. Mais si le bleu de Monory nous montre les ténèbres du monde, il tente aussi de nous protéger : "Peindre en bleu permet de mettre la violence de la vie quotidienne à distance, de l'affronter et de faire penser que la vie est une illusion." disait-il.
Le bleu de Monory est un bleu polar, à l’image de sa série la plus connue intitulée « Meurtres », il permet de travailler le « fait divers symbolique », de mettre en scène des fragments d’histoire comme des séquences de cinéma. D’ailleurs à la fin de cette interview dans Lunettes noires pour nuit blanche, à la question « quelle définition voudrais-tu qu’il reste de toi dans le dictionnaire des peintre ? », il répond « celui qui était le plus près du cinéma »…
Monory utilise l’expression de « scénario thrilléré » pour ses tableaux. « Thrillérer » les images, installer une atmosphère profondément inquiétante, la démarche de Monory ne trouve pas sa source dans l’Histoire de la peinture mais dans celle du cinéma, et de la photographie. Chez l’éditeur Robert Delpite où il faisait de la mise en page, Jacques Monory va d’ailleurs côtoyer les plus grands objectifs, Cartier-Bresson, Robert Frank, William Klein. Le film noir, la photo, et même la pub : Monory, comme d’autres figures du « pop art », se nourrit d’arts littéralement populaires.
A son tour il nourrira la photo, la pub, et le cinéma durablement influencés par son bleu. Je pense au bleu de la mort dans Trois couleurs : bleu de Kieslowski, et le bleu du crime dans Trafic de Soderbergh. Le bleu Monory a quelque chose du filtre Instagram avant l’heure… Un filtre magique car selon le peintre, le bleu c'est d'abord la couleur qui supporte le mieux tous les dégradés sans devenir hideuse. Mais ce filtre bleu, plutôt que de tricher avec le réel, nous rappelle que tous ces stratagèmes sont illusoires. C’est un bleu révélateur.
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