Qu'est-ce qui définit un anachronisme mémoriel ?

Intérieur de la maison de Pierre Loti
Intérieur de la maison de Pierre Loti ©Getty - Eric BERACASSAT
Intérieur de la maison de Pierre Loti ©Getty - Eric BERACASSAT
Intérieur de la maison de Pierre Loti ©Getty - Eric BERACASSAT
Publicité

La polémique qui entoure la restauration de la maison de l’écrivain voyageur Pierre Loti illustre une tendance actuelle à considérer les œuvres passées comme si nous les découvrions aujourd'hui.

Qu’est-ce qu’un « anachronisme mémoriel » ? La définition semble s’écrire au fil des controverses. Elles sont de plus en plus nombreuses et se situent en général dans ce point de tension où œuvres et artistes du passé sont mis en cause sur la base de critères actuels. Comme si nous les découvrions aujourd’hui.

Face à la variété et la complexité des situations il ne faudrait pas tout confondre, concentrons-nous sur le cas de Pierre Loti.

Publicité

Ecrivain voyageur adulé dans les années 1890-1910, Pierre Loti a bourlingué de la Turquie au Japon en passant par l'Égypte ou la Chine. Il a rapporté de ses périples mille et un trésors et s’est façonné, sans précautions architecturales, une maison fantasque, reflet de ses pérégrinations. A Rochefort, en Charente-Maritime, derrière la façade de cette bâtisse du XVIIe siècle classée monument historique, se télescopent : chambre arabe, salon turc, salle gothique et mosquée.

La maison de Pierre Loti, fermée depuis six ans pour travaux, se réduisait en miette. Elle a donc été retenue avec 17 autres monuments pour bénéficier en priorité du nouveau loto du patrimoine initié par le ministère de la Culture et son Monsieur « patrimoine en péril » Stéphane Bern. Coût de la restauration ? Plus de 5 millions d’euros.

Seulement, à relire les écrits de son illustre propriétaire, la maison n’en serait pas digne. Des représentants d’associations antiracistes (Union des étudiants juifs de France, SOS Racisme, Union générale arménienne de bienfaisance) avaient demandé dans une tribune début juin au président de la République Emmanuel Macron de renoncer à se rendre dans la maison de Pierre Loti et de retirer cet édifice de la liste des bénéficiaires du Loto du Patrimoine. Ils réclamaient également que soient « débaptisés les établissements scolaires au nom de cet auteur de discours de haine ». 

Les mots de Pierre Loti exhumés de ses ouvrages dans cette tribune sont assurément haineux à l’égard des juifs et des Arméniens. Je vous en épargne la lecture. 

Mais pour le président Emmanuel Macron, qui s’est rendu dans la maison de Pierre Loti comme prévu, « il ne faut pas avoir de combats anachroniques ». Il a donc tranché et estimé que « l’œuvre de Pierre Loti n’était pas réductible à la polémique qui lui a été faite ». Même si aujourd’hui une polémique légitime lui serait faite. Vous me suivez ?

Le cas de Pierre Loti télescope pour le coup plusieurs questions. Sur la méthode : exhumer certains passages, en dehors de l’économie générale de l’oeuvre, ne conduirait-il pas aujourd’hui à s’insurger contre Montesquieu, Voltaire ou Corneille ? 

Et si un débat exégète se mène désormais dans le détail autour de Pierre Loti, les textes découpés et décontextualisés étant contrebalancés par d’autres (pro-dreyfusards ou reconnaissants le génocide arménien), l’idée même de la justification interroge. 

On avait pourtant séparé l’œuvre et l’homme, l'art et la morale, mais les lignes se bousculent. Et si ces interrogations traversent les arts actuels, il va falloir trouver un moyen de les penser dans un temps délinéarisé par l’internet où le présent cohabite avec le passé sur le même plan.