Mettons nous un instant dans la peau du gouvernement. Pourquoi lancer cette réforme du marché du travail potentiellement explosive à un an des élections ? Réduire la précarité ? Satisfaire le Medef ? Eviter une amende de 10 milliards d'euros ? Ah, ça on l'entend moins et pourtant...
Pourquoi réformer le marché du travail maintenant à un an des élections? Hier, sur France 2, le premier ministre a affirmé que c'était pour "relancer le dialogue social au plus près de l'entreprise, aider les femmes, les précaires et les jeunes à rentrer sur le marché du travail". "Favoriser l'embauche en CDI", a ajouté la ministre du travail sur TF1.
Il n'y a aucune certitude là dessus. Voir à ce sujet les deux précédents billets de cette série : Décryptage Loi Travail 1: les comparaisons, et Décryptage Loi Travail 2 : les économistes POUR. C'est donc un pari, celui du gouvernement et des partisans de ce projet de loi. De plus, les preuves par les chiffres mettront du temps à se matérialiser, le gouvernement n'en tirera donc aucun bénéfice pour les élections.
Aux députés socialistes interloqués par ce "timing" et qui ont posé aussi la question lors du séminaire organisé il y a une semaine avec les parlementaires PS, le gouvernement a expliqué en substance : c'est pour faire comme nos voisins européens. Là, on s'approche de la vérité selon moi.
Que les autres pays aient fait ces réformes de flexibilisation du marché du travail n’est peut pas une raison valable pour les faire nous, (vous pouvez écouter, pour approfondir, la dernière édition de "Dimanche et après" : Loi Travail, la France ne copie pas ses voisins, et après ?) mais c’est clairement un motif réel et sérieux, pour paraphraser les termes utilisés pour les licenciements.
Motif réel et sérieux : le risque de sanction financière
Quand un pays ne respecte pas les critères de Maastricht, notamment un déficit inférieur à 3% du PIB, il peut avoir à payer une amende. La France est dans ce cas depuis 2009. On appelle ça : "procédure pour déficit excessif". En 2012, 15 pays étaient comme nous, en 2016, nous ne sommes plus que cinq avec le Portugal, l'Italie, la Bulgarie, et la Croatie. (Voir ici la dernière évaluation faite le 8 mars 2016 par la Commission Européenne). C'est aussi cela qui fait de nous un pays à part dans l'Union Européenne, pas seulement le poids de notre code du travail.
Etre dans une procédure pour déficit excessif, cela veut dire être sous surveillance, faire l'objet de rapport, d'analyses approfondies (voir ici le dernier rapport de la commission européenne sur la France, 26/02/2016-115 pages), et de recommandations, qu'il faut suivre. Depuis 2010 et la mise en place de ce qu'on appelle le semestre européen (voir ici en quoi cela consiste), ne pas suivre ces recommandations expose l'Etat membre à des sanctions financières entre 0,2 et 0.5% du PIB. Pour la France, cela ferait 10 milliards d'euros, plus de deux fois le sauvetage d'AREVA!
Eviter 10 milliards d'euros d'amende...
Le pacte de responsabilité et la loi Macron étaient des réponses à des recommandations faites précédemment. C'est ce qui nous a permis d'obtenir deux fois des délais. Restait, toujours pendante, la réforme du marché du travail. Or en mai dernier, le conseil européen, c'est à dire les chefs d'Etat européens (ce n'est pas la commission qui décide), a recommandé une nouvelle fois à la France de mener cette réforme structurelle.
C'est un document de sept pages, très éclairant, tant les termes qu'il utilise sont ceux que l'on retrouve dans le débat sur cette loi travail (point 14).
La France souffre d'une segmentation de son marché du travail, qui se caractérise par une part croissante de contrats à durée déterminée dans les nouvelles embauches.
Suivent une série de recommandations qui ressemblent à s'y méprendre au projet de loi initial.
- réviser le cadre juridique régissant les contrats de travail
- permettre aux entreprises de moduler leurs effectifs de façon flexible, et de déroger aux 35 h, au cas par cas et après négociations avec les partenaires sociaux,
- donner plus de latitude aux entreprises pour adapter les salaires et le temps de travail à leur situation économique
En lançant ce chantier, dans les termes exigés par ses partenaires européens, le gouvernement français a fait montre de sa bonne volonté. Il pourra toujours dire : regardez, j'ai essayé, et j'ai fait de mon mieux. C'est assez habile finalement. Nous verrons si c'est suffisant pour lever cette épée de Damoclès à 10 milliards d'euros.
Reste une autre question, à plusieurs centaines de milliards d'euros. Que vont en penser les acteurs des marchés financiers", autres intervenants majeurs, et pour moment silencieux dans ce débat? Cette année, la France a prévu d'emprunter 198 milliards d'euros (pour financer son déficit et rembourser ses intérêts : voir à ce sujet un précédent billet : La finance aime (toujours) la France). Et que demandent ces marchés financiers? Une réforme du marché du travail, réforme structurelle censée selon eux favoriser la croissance potentielle de la France (voir ici à ce sujet, un précédent billet : Le code du travail est-il l'ami du chômage)
Vont-ils se satisfaire des ajustements présentés par le gouvernement?
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