

Les ministres du Travail et des Affaires sociales de l'Union européenne sont parvenus hier soir à un accord sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés, une réforme défendue au nom de la lutte "anti-dumping social" par Paris. Un grand pas vers une "Europe qui protège" ?
Dans la directive initiale, il est simplement spécifié que les travailleurs détachés doivent toucher le salaire minimum du pays d'accueil. Or en 96 l'Europe ne ressemblait pas à celle où nous vivons aujourd'hui. Avec l'élargissement de l'Union Européenne à l'Est en 2004, et l'arrivée de dix nouveaux pays aux niveaux de vie et salaires plus bas, la donne a changé. Comme les charges sociales restent celle du pays d'origine , et que là encore elles sont nettement plus basses à l'Est qu'à l'Ouest la directive engendrait une concurrence déloyale entre entreprises, créant ce qu'on appelle du dumping social. Et le recours aux salariés détachés qui était alors marginal a augmenté ces dernières années avec la crise de 2008 de 40 %.
En révisant cette directive, Bruxelles veut désormais rétablir une part d'équité entre travailleurs européens en veillant à ce que que toutes les règles valables pour les travailleurs locaux s'appliquent aux détachés.
En pratique il faudrait que sur un même chantier dans la région parisienne par exemple , un ouvrier polonais perçoive le même salaire , et pas seulement minimum , qu'un ouvrier français. Si le pays d'accueil prévoit également une prime de froid, de pénibilité, d'ancienneté, un treizième mois, ces bonus devront aussi lui être versés. Vous y rajouterez les frais de logement , de transport voire de repas et en tout état de cause vous réduirez largement l'écart de traitement entre ces deux ouvriers européens et par conséquent vous réduirez les abus.
Limiter les abus
Des abus qui étaient depuis de nombreuses années dénoncés, car ce n'était évidement pas l'ouvrier polonais qui était en cause mais les employeurs.
Cette directive de 96 en effet leur avait permis de nombreux contournements. Bien souvent les salariés détachés se voyaient payés le salaire minimum mais certains entrepreneurs déduisaient de la somme des frais de transport et de logement, des logements souvent précaires, parfois des baraquements installés sur le chantier. Autant de petits arrangements qui permettaient aux entreprises de réaliser des économies.
Non-déclaration, rémunérations très inférieures au Smic, dépassement des durées maximales de travail, hébergement indigne, selon un rapport sénatorial de 2013, la fraude concernerait entre 220.000 et 300.000 travailleurs détachés illégaux en France.
Il y a également le problème récurent des entreprises d'intérim dites " boîte aux lettres" ou "coquille vide" qui n'exercent aucune activité réelle dans le pays d'origine mais détachent des salariés pour bénéficier de charges sociales basses. La directive devrait imposer le formulaire A1 comme condition préalable du détachement. Ce document, remis par son pays d'origine au travailleur détaché en règle, atteste qu'il est soumis aux cotisations sociales de son pays. La directive prévoit donc une meilleure coopération administrative, en attendant la création d’une «autorité européenne du travail» promise par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission...A noter tout de même que la révision de cette directive mettra au moins 4 ans avant d'être adoptée et d'entrer en vigueur au mieux à l'horizon 2022 et qu'elle ne concerne pas le secteur des transports , autre grosse concession qu'aura dû faire Emmanuel Macron.
Qu'en pense le patronat ?
Les patrons vertueux vont pouvoir s'en réjouir , surtout ceux du secteur du BTP, ils ne perdront plus les appels d'offres face à des entreprises peu scrupuleuses qui gagnaient leur marge en exploitant la main d’œuvre bon marché des pays de l'Est.
Mais d'un autre côté si la France et l' Allemagne sont les principaux employeurs de travailleurs détachés , ces deux pays sont aussi les deux principaux pourvoyeurs de salariés détachés. Que va devenir l'ingénieur allemand en mission de maintenance à l'étranger ? s'inquiète le patronat allemand par exemple. Sur ces cas là, on peut imaginer que le niveau de qualification fera l'objet de négociations salariales au sein de l'entreprise, ce qui par ricochet pourrait aussi faire les affaires de l'ingénieur polonais. Et puis il n'y a pas que le statut de travailleurs détachés pour aller travailler à l'étranger. Rappelons que les travailleurs détachés ne représentent que 0,4% équivalent temps plein de l'emploi salarié dans l'Union Européenne. Un tout petit pas sur le chemin de "l'Europe qui protège".
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