La lutte de l'UE contre l'évasion fiscale jadis entravée par Juncker

Nommé Premier Ministre en 1995, Jean-Claude Juncker continuera à exercer les fonctions de ministre des Finances, ministre du Travail et de l'Emploi et ministre du Trésor
Nommé Premier Ministre en 1995, Jean-Claude Juncker continuera à exercer les fonctions de ministre des Finances, ministre du Travail et de l'Emploi et ministre du Trésor ©Reuters - Reuters
Nommé Premier Ministre en 1995, Jean-Claude Juncker continuera à exercer les fonctions de ministre des Finances, ministre du Travail et de l'Emploi et ministre du Trésor ©Reuters - Reuters
Nommé Premier Ministre en 1995, Jean-Claude Juncker continuera à exercer les fonctions de ministre des Finances, ministre du Travail et de l'Emploi et ministre du Trésor ©Reuters - Reuters
Publicité

Des câbles diplomatiques allemands révèlent l'opposition systématique de Jean-Claude Juncker à toute initiative européenne sur l'évasion fiscale quand il dirigeait le Luxembourg (1995 -2013). Est-il encore crédible quand il dit vouloir s'attaquer au problème maintenant qu'il préside la commission?

C'est Le Guardian qui fait cette révélation. " Jean-Claude Juncker blocked EU curbs on tax avoidance, cables show", "Jean-Claude Juncker a bloqué les initiatives de l'UE sur l'évasion fiscale, selon des cables".

Les documents qui ont fuité proviennent de câbles diplomatiques allemands qui ont été transmis, par une source inconnue, au quotidien britannique, à une radio publique régionale allemande, la NRD, dont le siège est à Hambourg, et avec l'ICIJ, le consortium des journalistes d'investigation à l'origine de toutes les dernières grandes fuites sur l'évasion fiscale: Panama papers, Lux leaks, bahamas leaks, Off shore leaks etc etc...

Publicité

Voir sur ce sujet de l'évasion fiscales de très nombreux billets économiques et émissions de France Culture ici.

Le Guardian ne donne pas accès à ces documents fuités, on doit donc les croire sur parole, mais ils ont recoupé les informations qu'ils contiennent avec d'autres sources qui les corroborent.

Ces documents donnent accès à des comptes rendus d'un groupe officiel mais très discret, le groupe " Code de conduite (fiscalité des entreprises)". Ce groupe est l'un des 150 groupes et comité qui aident à préparer les décisions sur des sujets précis. C'est une émanation du conseil (c'est à dire des Etats), pas de la commission européenne ou du parlement.

L'UE veut limiter le dumping fiscal depuis 1998...

Ce groupe a été crée en 1998. Il y a presque 20 ans donc, et son rôle était d'émettre des règles pour supprimer les mesures fiscales entraînant la concurrence entre pays de l'Union Européenne. Les Etats devaient s'engager à appliquer ses recommandations, et s'abstenir de créer de nouvelles mesures encourageant le dumping au sein de l'Union Européenne.

Force est de constater qu'en 20 ans, on a plus reculé qu'avancé sur sujet. L'harmonisation fiscale au sein de l'UE reste un projet toujours en devenir, en revanche, on sait maintenant ce que sont les tax ruling, les rescrits fiscaux, ceux qui ont permis à Apple de payer, selon la commission européenne, 0,005% d’impôts sur ses profits en Irlande.

Voir ici deux précédents billets sur ce sujet:

Vous avez peut être aussi entendu parler du double irlandais avec sandwiches hollandais... nom d'un montage bien connu des optimisateurs fiscaux et dont le billet économique a déjà parlé au sujet de Google. Evasion fiscale: la fin de la récré pour les multinationales?

Cette compétition intra-européenne représente un manque à gagner estimé à 15 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés par an pour la France selon un rapport parlementaire.

Tout ça grâce à la très grande inefficacité de ce comité et le blocage systématique d'une poignée de pays de l'UE.

Que disent précisément les fuites ?

L'un des câble diplomatique note:

"Il est maintenant clair que la majorité des Etats membres ne sont pas intéressés par des réformes sérieuses. En particulier le Luxembourg et ses représentants qui ont dit être fondamentalement opposés à toute proposition de faire savoir les arguments du Luxembourg sur ces questions. “It has become abundantly clear once again that a majority [of members states] are not interested in real reform. In particular, Luxembourg representatives said they would fundamentally object to any proposal to publish arguments made by Luxembourg in the committee.

Parmi les mesures imaginées par ce "groupe code de conduite fiscalité des entreprises", auquel le Luxembourg s'est opposé il y aurait:

  • l'idée de soumettre les rescrits fiscaux d'un pays, aux administrations fiscales des autres pays.
  • la conduite d'investigation sur les schémas les plus agressifs mis en place par les multinationales (schémas dits hybrides)
  • et même, l'idée de sortir de la règle de l'unanimité pour les décisions prises par ce groupe, qui lui même se retrouvait bloqué par cette règle sur les décisions fiscales.

Que le Luxembourg ait cherché coûte que coûte à maintenir son avantage concurrentiel sur l'imposition des sociétés, cela n'a rien de très étonnant.

C'est quand même embarrassant, une fois de plus, pour le président de la commission européenne Jean Claude Juncker qui a été premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013. Est-il le mieux placé pour mener le chantier de la convergence fiscale au sein de l'UE, comme il l'affirme depuis les révélations du Lux Leaks ? la question se pose de nouveau.

La commission européenne et le Luxembourg ont refusé de commenter les informations contenues dans ces fuites. Ce qu'elles révèlent aussi c'est que ces pratiques ont peu changé... Un autre cable, plus récent note le décalage impressionnant entre la position publique des Etats membres sur les réformes fiscales internationales, et leur comportement au sein de ce groupe confidentiel.

“It is impressive to see how some member states present themselves outwardly as proponents of [international tax reforms] and at the same time to watch how they actually behave in EU discussions, protected by confidentiality.”

Ce comité se réunit le 19 janvier prochain, puis le 25, puis le 3 février etc... Il y a au moins une totale transparence sur cet agenda, et son activité intense. Une suggestion peut être: les débats de ce comité pourraient être publics. Ainsi, on éviterait les fuites, et les doubles discours.

L'équipe