

L'argument est régulièrement évoqué par les PDG (ou le Medef) quand ils sont interpellés sur leurs rémunérations et leurs salaires qui augmentent, comme dernièrement avec PSA et Renault : c'est le prix du marché. Ce marché des PDG existe-t-il? Est-ce réaliste de vouloir légiférer sur le sujet?
Le marché mondial des patrons : mythe ou réalité? Vous avez deux heures... La question peut sembler académique, elle est essentielle pour comprendre les justifications des grands patrons. Car toujours, c'est cet argument qui revient. Les salaires sont certes élevés, mais c'est le prix du marché. Certains diront faramineux, d'autres indécents. Mon propos n'est pas de porter un jugement moral sur la question mais de jauger la réalité de ce fameux marché mondial des PDG.
Ecoutez pour commencer Carlos Tavares, le PDG de PSA lors de son audition début mai à l'assemblée nationale. Vous retrouverez l'audition complète ici.
Ci dessous, un son extrait de son audition par Elise Thibaut. Je n'ai pas fait de montage. Pendant trois minutes le PDG de PSA, explique son parcours et sa façon d'appréhender l'émoi suscité par son augmentation de salaire, passé de 2 et demi à 5 millions d'euros.
Carlos Tavares évoque son parcous et son salaire devant les parlementaires
2 min
"Je me considère comme un joueur de football ou un pilote de formule 1. Il y a un marché. Par rapport à mes pairs, je suis payé le tiers ou la moitié de mes pairs. Ce sont des faits qui ne sont pas audibles, j'en ai pleine conscience, mais c'est la réalité de notre monde".
5 millions d'euros par an, ce serait donc inférieur au prix du marché explique Carlos Tavares. Selon le magazine Challenge, "le patron de PSA gagne environ moitié moins que Sergio Marchionne, patron de FCA (Fiat Chrysler) ou Dieter Zetsche, PDG de Daimler, trois fois moins que Martin Winterkorn (ex-président de Volkswagen) ou Mark Fields, PDG de Ford".
Ceci est une version très augmentée de la chronique faite ce matin. Il intègre notamment les éléments du papier diffusé à 12h30. Vous y trouverez de très nombreux liens et références, et même, à la fin, une vidéo humoristique d'une chronique de Guillaume Meurice sur ce sujet.
Pas de registre mondial des salaires des patrons
Au delà du cas de Carlos Tavares, la première difficulté à laquelle on se heurte pour étudier ce marché mondial des PDG, c'est qu'il n'y a pas de transparence sur les données. Pour les entreprises cotées, on peut avoir des informations, la rémunération moyenne des PDG du Cac 40 est de 4 millions 200 000 euros, 350 000 euros par mois, mais au niveau mondial, on ne sait pas.
De plus, la rémunération d'un PDG est composée de très nombreux éléments disparates: salaires, stock option, prime de performance, annuelle, pluriannuelle. Établir un comparatif est donc compliqué. Même en restant en France. Un jeune doctorant statisticien s'est lancé dans cet exercice pour sa thèse d'économie, vous savez que j'aime bien les thésards (voir la série: Des solutions, il y en a dans les thèses des étudiants), et il me confiait que son défi majeur, c'est le recueil des données.
En France, l'Autorité des Marchés Financiers publie chaque année un rapport sur la rémunération des dirigeants. Dans le dernier publié en novembre (sur les chiffres de 2014), elle note que la transparence s'améliore mais souligne (page 94), que des entreprises ne respectent pas les exigences légales relatives à la transparence de la rémunération des dirigeants. Concernant, le fameux code AFEP/MEDEF, censé fixer des lignes directrices, l'AMF note aussi au passage que des entreprises ne s'y réfèrent pas.
Or pour qu'il y ait un marché, il faut que l'information soit partagée entre tous, notamment le prix, c'est ce que dit en tout cas la théorie. Une association britannique, the High Pay Center, prend les patrons au mot, et leur propose de créer une sorte de registre mondial des salaires des patrons. Ci-dessous une vidéo qui montre que le sujet ne fait pas jaser qu'en France.
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Dès lors, comme se fait le prix du patron?
Il se fait par le biais des conseils d'administration, qui sont les derniers à trancher sur le salaire du PDG. On l'a vu avec Renault, où le conseil a passé outre l'avis des actionnaires qui étaient à 54.12% contre l'augmentation de Carlos Ghosn. Preuve que les actionnaires sont peu de chose, mais selon le Medef, cette affaire montre justement que le code de conduite AFEP/Medef (qui a introduit la possibilité pour les actionnaires de se prononcer sur le salaire des dirigeants) fonctionne.
L'affaire Renault montre "que les actionnaires se sont pleinement emparés de cet outil" et "expriment leur avis, y compris leur mécontentement".
Comment les conseils d'administration évaluent ce prix du marché? Souvent ces conseils sont composés de pdgs d'autres entreprises, d'ex pdgs, de haut dirigeants potentiels futurs pdgs, donc ils connaissent le sujet de l'intérieur. Il peuvent ensuite s'appuyer sur les études (payantes) que font divers institut de recherche. Un journal britannique, Institutional Investor publie chaque année par exemple un palmarès des PDG du monde fondé sur les avis de 1600 analystes financiers... et pour la France, devinez qui arrive premier CARLOS TAVARES, justement.
En revanche, qui dit marché, dit concurrence... or cet élément ne joue pas sur les salaires des PDG. Car quand un conseil cherche à en recruter un, il ne met jamais deux ou trois PDGs en concurrence, ce qui pourrait faire baisser les prix. Au contraire même. Selon Loic Dessaint, directeur général de Proxinvest, une société de conseil aux actionnaires, plus le PDG est rémunéré, plus le conseil d'administration se rassure sur ses qualités. Le payer plus que le concurrent, c'est espérer de meilleur résultats. Donc oui, il y a bien un prix de marché pour les PDGs, mais ce prix ne peut qu'augmenter, parce que quand les temps sont durs, l'espoir se paye en millions.
Hier, 17 mai, le chef de l'Etat a dit vouloir mettre un terme à cette inflation par la loi, mais ce serait briser l'espoir! Empêcher les conseils d'administration de rêver à de meilleurs lendemains! Une faute!
De toutes façons, cette promesse, mainte fois formulée n'a jamais été réalisée (sauf pour les entreprises publiques pour lesquelles la rémunération a été plafonné à 450 000 euros en juillet 2012).
De son côté, le front de gauche a déposé une proposition de loi qui sera examiné ce 18 mai. Elle vise à encadrer les rémunérations dans les entreprises. L'écart devrait être de 1 à 20.
"(cet écart) ne constitue pas non plus un plafonnement des rémunérations : le mécanisme permet de relever les salaires les plus bas puisque toute décision ayant pour effet de porter le montant annuel de la rémunération la plus élevée dans un écart autre que celui de 1 à 20 sera considérée comme nulle, dès lors que le salaire le plus bas n’est pas relevé".
Conclusion, pour que les PDGs du CAC 40 conservent un salaire moyen de 4,2 millions d'euros par an, il faudrait porter le plus bas salaire de leurs entreprises à 17 500 euros par mois. On ne parle plus de coup de pouce au pouvoir d'achat, mais d'un effet turbo!
Des députés préconisent un écart de 1 à 20: réaliste?
Cela a peu de chances d'arriver. Le coût du travail passe déjà pour être trop élevé en France. Quant à limiter par le haut le salaire des PDGs, le gouvernement l'a fait en juillet 2012, mais seulement pour les entreprises publiques. Pour le privé, c'était promis à l'été 2013, on attend toujours. Pourquoi cet immobilisme?
L'un des obstacles est juridique. Cela dépend des contrats, mais un PDG peut avoir un statut de salarié, d'un type spécial, mais salarié tout de même. Or les règles permettant de réduire les émoluments d'un salarié sont strictes et souvent conditionnées à l'accord de celui-ci. Imagine-t-on les patrons du CAC 40 accepter une baisse drastique de leur rémunération? Difficilement.
Mais l'obstacle majeur, c'est, comme souvent, que dans aucun autre pays cette limitation n'existe. Barack Obama l'avait annoncé en 2009 pour les entreprises américaines aidées par l'Etat, mais cette décision fut peu appliquée. Voir ici le rapport touffu mais éclairant de la commission chargée de contrôler l'application du programme d'aide aux entreprises suite à la crise.
Toujours la peur de voir les cerveaux fuir sous des cieux plus cléments. Encore un domaine où sans coordination mondiale, aucune avancée n'est possible. Pas de salaireleaks à l'horizon, pas besoin. Cette inflation à la hausse des salaires des patrons est connu, mais elle n'est à l'agenda d'aucune réunion internationale.
D'où l'idée que c'est plutôt par un nouvel équilibre des pouvoirs entre actionnaires et conseil d'administration qu'il serait possible d'agir. Ici, un excellent papier de recherche à ce sujet.
Une directive européenne en discussion prochainement pourrait durcir les règles de définition des salaires, et imposer que les actionnaires votent tous les trois ans sur la politique de rémunération des dirigeants. De manière contraignante cette fois. Mais le texte n'est pas encore passé. D'ici là...
... je vous propose cette vidéo de la chronique de Guillaume Meurice, qui avait choisi (comme moi mais pour d'autres raisons :) d'assister à la conférence de presse de l'AMF lors de la remise de son rapport sur les rémunérations des dirigeants en novembre dernier. On avait pas ramené les mêmes extraits!
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