

.. est peut être enclenché. Partisane affichée du libre-échange, l'Union Européenne pourrait changer ses règles pour lutter contre la concurrence déloyale, un processus enclenché en 2013, enterré par les Etats, est remis à l'ordre du jour depuis 2016. Une Europe qui se protège? Possible mais long.
Pendant cette campagne présidentielle, vous avez pu entendre parler de dumping social ou environnemental. Ce n'est pas de ce problème que les ministres du commerce de l'Union Européenne vont discuter aujourd'hui à Bruxelles, mais de la concurrence déloyale par les prix.
La commission européenne n'associe pas, elle, le mot dumping avec le champ social ou environnemental, mais intègre des dispositions sur le "développement durable" dans ses accords. Plus de précisions ici en anglais (comme souvent).
Contrairement à ce qu'on entend souvent dans le débat français, l'Union Européenne n'est pas ouverte aux quatre vents, et bien qu'elle soit partisane affichée du libre échange, elle peut se protéger et se protège contre les importations, quand ces importations sont jugées déloyales. C'est une longue procédure qui commence par une enquête approfondie. Vous trouverez ici la liste des enquêtes en cours.
Les taxes anti-dumping OMC-compatibles
Un rapport de l'Organisation Mondiale du Commerce tient les comptes des mesures anti-dumping prises dans le monde. Voir ce rapport ici: page 188. Le plus souvent ce sont des surtaxes à l’importation. En 2015, l'Union Européenne en imposait 109. 109 pour 141 produits.
Ce n'est pas rien, mais c'est quand même beaucoup moins qu'aux États-Unis: 255 mesures anti-dumping pour 334 produits, et bien moins encore que la Chine qui elle impose plus de 500 taxes anti-dumping sur presque 1000 produits.
L'Union européenne oui se protège, mais moins que nos principaux concurrents.
Elle représente 15 % des importations mondiales, mais seulement 8% des mesures anti-dumping en vigueur dans le monde.
"Nulle autre entité commerciale amenée à prendre des mesures pour protéger l'emploi sur son territoire ne fait preuve d'une telle retenue", écrit la commission européenne dans un des documents présenté aux ministres du commerce de l'UE.
Pourquoi tant de retenue?
C'est la Commission elle même qui le dit: la législation européenne actuelle sur les règles anti-dumping limite les protections.
Si on prend l'acier par exemple. Les Chinois sont en sur-excédent de production, et ils écoulent leurs stocks à des prix bradés: c'est du dumping caractérisé et des mesures de rétorsion sont donc possibles et compatibles avec les règles de l'OMC.
Et bien pour l'acier laminé, les Etats Unis imposent une taxe anti-dumping de 265.8%, alors qu'elle n'est que de 21% dans l'Union Européenne.
"Certaines industries de l'Union ont perdu des milliers d'emplois. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés".
Devinez qui je cite? Non ce n'est pas Jean Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, mais Jean-Claude Juncker, le président de la commission.
Ne pas rester les bras croisés, c'est à dire?
Restez concentrés! Ce que veut changer la commission c'est deux choses:
1/ la façon de calculer les taxes anti-dumping. Pour le moment les méthodes de l'UE prennent en compte de très nombreux paramètres, et ont pour philosophie de ne pas augmenter les droits de douanes au delà de ce qui est strictement nécessaire. On appelle cela la "règle du droit moindre". L'idée c'est de faire évoluer ces méthodes. Cela a déjà été validé lors d'un conseil européen des ministres du commerce en décembre.
Vous trouverez plus de détail et d'explications sur la règle du droit moindre et cet accord dans ce précédent billet: Fin de la naïveté européenne sur le libre-échange
2/ le sujet dont il sera question à l'occasion du conseil de ce 11 mai, c'est : quoi faire quand un produit ou un exportateur bénéficie d'aides publiques? On appelle cela les distorsions de marchés. Pour le moment l'Union Européenne avait une liste de pays où ces distorsions existaient. Là, elle veut mettre au point une méthode qui pourrait s'appliquer à tous les pays, sans faire de liste.
A quand le changement?
C'est bien ça le problème. La volonté est là, en tout cas du côté de la commission européenne et du parlement, mais ce qui bloque, ce sont les États.
Il faut savoir que les modifications dont je viens de vous parler ont été présentée en 2013! 2013... A l'époque les États ont refusé à une majorité et le dossier a été enterré, avant de ressortir cet automne.
On peut considérer que l'Union Européenne se protège mal. Le fait est que sa balance commerciale est très très très excédentaire. 200 milliards d'euros d'excédent en 2016. Il y a donc des pays qui ne voient pas l'intérêt de changer nos règles commerciales. Voir ci-après un article court et très intéressant sur ce paradoxe entre la soit disant naïveté de l'UE et son insolent succès dans le commerce mondial.
L'Union Européenne est-elle naïve dans sa politique commerciale?
Il semble que la donne ait changé. Une majorité d’États sont maintenant pour faire évoluer les règles. Lors de l'accord trouvé en décembre sur la règle du droit moindre, la Suède, les Pays bas, l'Irlande et la Grande Bretagne s'y sont tout de même opposés.
Admettons que les ministres du commerce acceptent aujourd'hui la deuxième partie des modifications sur ces règles anti-dumping, une phase préparatoire se mettra en place pour une discussion avec le parlement européen, puis un TRILOGUE (discussion entre commission parlement et conseil (qui représente les États)), puis une navette éventuelle entre les différents membres de ce Trilogue... Bref, nul ne sait quand la procédure peut aboutir. A la commission, on dit espérer qu'une nouvelle législation sur les règles anti-dumping soit mise en place d'ici fin 2017, mais rien n'est moins sûr.
L'Union Européenne ne sera peut être bientôt plus la plus naïve dans la mondialisation, mais elle ne sera clairement pas la plus rapide à se protéger.
Marie Viennot
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