Non, l'allègement de la dette grecque n'est pas acté

Le ministre des finances grec Tsakalotos avec le commissaire européen Moscovici
Le ministre des finances grec Tsakalotos avec le commissaire européen Moscovici ©Maxppp - Olivier Hoslet
Le ministre des finances grec Tsakalotos avec le commissaire européen Moscovici ©Maxppp - Olivier Hoslet
Le ministre des finances grec Tsakalotos avec le commissaire européen Moscovici ©Maxppp - Olivier Hoslet
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Le diable se cache toujours dans les détails... Dans la nuit du 24 au 25 mai, l'Eurogroupe et le FMI ont signé un accord avec la Grèce pour le déblocage d'une nouvelle tranche de prêt. L'allègement de la dette grecque n'est pas acté, mais son "principe" envisagé. Nuance...

C'est à deux heure du matin que le communiqué de l'Eurogroupe, qui regroupe les ministres des finances de la zone euro, a été publié. Après 11 heures de négociation. Cette fois, on n'a pas attendu que la Grèce soit au bord de la faillite pour arriver à un accord. Une partie du prêt qui lui avait été consenti l'été dernier sera débloqué en juin, une autre pendant l'été.

En échange, la Grèce a fait passer tout un tas de mesures. Des classiques, une nouvelle réforme des retraites, la création d'un fond pour récolter le fruit des privatisations et des augmentations d'impôt, et une totalement inédite. Dans le jargon européen on appelle cela un " mécanisme de correction", mais les Grecs l'ont surnommé KOFTIS, cela veut dire pince coupante et cela exprime assez bien ce que c'est.

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En gros, si l'Etat grec dépense plus que ce qui est prévu par ses créanciers, CLAC, son budget sera réduit, ce qui conduira en premier lieu à une baisse des salaires des fonctionnaires et des retraites.

CLAC… plus besoin de faire passer les mesures par le parlement grec, ce sera automatique.

Avec tout ça, impossible de dire que la Grèce ne faisait pas assez d'effort, et la négociation de cette nuit a donc été totalement inédite. Elle n'opposait pas la Grèce à ses créanciers, mais ses créanciers entre eux, les ministres des finances de la zone euro d'un côté et le FMI de l'autre, la Grèce ayant plutôt un rôle de spectateur. Le FMI a rendu public il y a trois jours son analyse de la soutenabilité de la dette grecque ( ici en anglais).

Pour résumer, le FMI dit: tous nos plans précédents sont irréalistes, la dette de la Grèce est insoutenable, il faut l'alléger, sinon je pars et ne participe pas au troisième programme de prêt.. Ce à quoi l'Eurogroupe répondait: "non je t'en pris ne part pas…. " sans accéder pour autant à ses demandes.

Mais il fallait coute que coute arriver à un accord assez vite, sinon une nouvelle crise grecque aurait perturbé les derniers jours de la campagne britannique avant le référundum sur le Brexit. Voir ici un précédent billet : Tsipras, FMI, UE et Brexit sont dans un bateau

Nota Bene: cet article est une version enrichie du billet radio de ce matin. Vous y trouverez comme chaque jours toutes les sources et des liens pour aller plus loin. Si vous êtes débutant en crise grecque ou que vous vouliez repartir de zéro, je vous conseille ce TOUT COMPRENDRE SUR LA DETTE GRECQUE, que j'ai écrit l'été dernier et qui est toujours valable pour comprendre comment on en est arrivé là.

La dette grecque reconnue comme insoutenable

C'est ça l'avancée de cette nuit, reconnue par le FMI, l'accord de la nuit dernière reconnait implicitement que la dette grecque n'est pas soutenable.

"We welcome that all stakeholders recognise that Greek debt is unsustainable. We welcome that it is understood that Greece needs debt relief to make it sustainable. And we welcome that there is agreement on the methodology and the objectives of what debt relief will achieve". Poul Thomsen, IMF Europe.

Pour autant, l'allègement de la dette grecque n'est pas acté. Vous entendrez les politiques qui participaient à cette réunion vous dire que OUI, et encore… Michel Sapin, le ministre des finances français est plus mesuré. Il parle de "traitement" et non d'allègement.

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Le diable se cache toujours dans les détails dans ce genre d'accord. S'il y a accord, c'est parce que le FMI a mis de l'eau dans son vin.

OUI, le communiqué de l'Eurogroupe évoque bien un paquet de mesures sur la dette, mais jamais jamais, il ne parle de restructuration. Il parle d'allègement de la dette (debt relief), trois fois, dont deux fois avec l'adjectif POSSIBLE devant, ce qui donne le "possible allègement de la dette". Ce n'est donc pas acté, c'est envisagé, ce qui est très différent, les mots sont importants.

The possible debt relief will be delivered at the end of the programme in mid-2018 and the scope will be determined by the Eurogroup on the basis of a revised DSA in cooperation with the European Institutions for purposes of taking into account the European policy framework, subject to full implementation of the programme. (traduction expliquée un peu plus bas)

Envisagé c'est déjà mieux qu'auparavant quand c'était exclu. Mais ça n'est pas pour demain.

L'Eurogroupe accepte d'étudier à court terme la soutenabilité de la dette de la Grèce si ses besoins en financement dépassent 15% de son PIB à moyen terme, et 20% à long terme. A cette condition, on pourra en discuter: lissage des remboursements, réduction des taux d'intérêt, les modalités sont même consignées. On avance donc mais cela n'est pas complètement neuf non plus, en 2012 la Grèce avait déjà obtenu ce type d'aménagement. Ce seuil sera sans doute atteint, sauf miracle, voilà pourquoi le FMI peut se dire que l'allègement de la dette grecque aura lieu un jour où l'autre.

Examen en profondeur du sujet…. mi 2018

"The possible det relief" en anglais dans le texte, le possible allègement de dette grecque sera étudié mi 2018, et sa portée sera alors déterminée par l'Eurogroupe, en fonction de l'évaluation qui sera faite à ce moment là de sa soutenabilité, c'est à dire de la capacité réelle de la Grèce à rembourser. D'autres mesures sont envisagées et même décrites… mais rien de définitif ou de chiffré. Le FMI repart d'ailleurs de Bruxelles en disant qu'il va étudier tout cela. L'équipe en charge de ces négociations plaidera pour que le FMI reste au côté des européens, mais c'est le conseil d'administration du FMI, (le board) qui décidera avant la fin de l'année.

Sur twitter, déjà, on lit des motifs de futurs discussions endiablées entre le FMI et l'Eurogroupe.

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On n'en a pas fini avec la crise grecque

Rendez vous en 2018 donc, si ce n'est avant, pour une nouvelle crise grecque et de nouvelles nuits bruxelloises torrides. Rappelons que pour prêter à la Grèce, ses créanciers européens se sont endettés. Ils ont crée un fond, le fond européen de stabilité, qui a emprunté sur les marchés à un certain taux. Lui aussi à des échéances à rembourser, s'il fait des pertes, ce sont ses actionnaires, les pays de la zone euro qui devront rembourser. Or cela transpire de toutes les mesures consignées dans ce document: i faut éviter que cela coute plus cher au final aux pays qui ont prêté à la Grèce. Alléger une dette sans que personne n'y perde rien, il ne faut pas être grand clerc pour conclure que… ça n'est pas gagné!

Et la Grèce dans tout ça? Soulagée?

Ce qui aurait aidé vraiment la Grèce, c'est que ses créanciers décident dès maintenant d'alléger une partie de sa dette, et même d'en supprimer une partie. Ainsi, ses remboursements auraient été réduit, ce qui aurait donné immédiatement de l'air au budget grec et permis des mesures de relance… Mais ce n'est pas ce qui a été acté la nuit dernière. Encore une fois, il n'est pas question d'annuler une partie de la dette grecque, en revanche un allègement sera envisagé, si la situation se dégrade.

Pour le FMI, il n'y a pas de doute, elle va se dégrader. Christine Lagarde l'a dit à plusieurs reprises, jamais la Grèce n'atteindra les objectifs fixés l'été dernier… et pourtant ces objectifs, irréalistes pour le FMI, on les retrouve consignés noir sur blanc dans l'accord de la nuit dernière. L'Etat grec est toujours censée dégager un excédent budgétaire égal à 3.5% de son PIB hors paiement de ses charges d'intérêt.

En 2015 la Grèce est arrivé à dégager un tout petit excédent primaire, 0.25%. Pour atteindre les 3.5%, il faudrait que sa croissance soit la plus forte de la zone euro ces prochaines années, selon le FMI, or pour le moment la croissance est atone en Grèce, et les derniers indicateurs de production industrielle ne laissent pas augurer une reprise vigoureuse avant un temps indéterminé. L'augmentation des impôts votée pour obtenir la prochaine tranche de prêt risque même d'avoir un effet récessif.

Cela dit cela dit, le fait que l'allègement de la dette grecque ne soit plus d'emblée exclu des discussions peut avoir un effet psychologique sur les investisseurs privés, redonner confiance en la Grèce. C'est cet effet qu'espère le Ministre des finances grecs qui a parlé cette nuit d'un "nouveau départ".

L'équipe