Où sont passés les 27 milliards du CICE?

Comparaison du coût du CICE, par rapport à d'autres dépenses de l'Etat, sauf l'impôt sur les sociétés qui est une recette
Comparaison du coût du CICE, par rapport à d'autres dépenses de l'Etat, sauf l'impôt sur les sociétés qui est une recette - Marie Viennot
Comparaison du coût du CICE, par rapport à d'autres dépenses de l'Etat, sauf l'impôt sur les sociétés qui est une recette - Marie Viennot
Comparaison du coût du CICE, par rapport à d'autres dépenses de l'Etat, sauf l'impôt sur les sociétés qui est une recette - Marie Viennot
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Créé pour favoriser l'emploi et la compétitivité des entreprises à l'exportation, le CICE n'a pour le moment pas rempli ses promesses. Un rapport estime probable la création de 50 à 100 000 emplois à ce jour, mais les résultats des enquêtes étaient fortement divergents. Saurons-nous un jour?

Déjà il faut une petite mise au point. Quand on parle du CICE vous entendrez aussi parler d'un coût de 43 milliards d'euros. Pour comprendre la différence, il faut revenir à ce qu'est le CICE.

Le CICE permet aux entreprises de déduire de leurs impots un pourcentage (4% en 2013, 6% à partir de 2014) de la masse salariale des salariés dont les rémunérations brutes n'excèdent pas 2.5 fois le SMIC. Une fois qu'elles ont déclaré le montant du CICE auquel elles ont droit, les entreprises peuvent alors le déduire de leur impôt, tout de suite, ou plus tard. Si elles ne sont pas imposables, elles peuvent demander à l'Etat un "chèque", tout de suite ou plus tard. Au final, elles ont trois ans pour exercer leur créance.

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43 milliards d'euros c'est le montant de la créance que les entreprises ont déclaré avoir sur l'Etat pour le CICE et 27 milliards, c'est le montant que cela a effectivement coûté à l'Etat au 31 juillet 2016.

A ces 27 milliards, on pourrait ajouter les 9 milliards d'euros du pacte de responsabilité, qui exonère les entreprises de cotisations patronales et fait donc lui aussi baisser le coût du travail pour les entreprises. Vous pourrez donc parfois lire le chiffre de 36 milliards d'euros, comme me l'a suggéré un fidèle auditeur. (Au passage, n'hésitez pas à me faire part de vos remarques comme lui, je tiens compte de toutes les informations que je reçois).

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43, 27, 36... au final c'est beaucoup de sous. A titre de comparaison, le budget de la recherche et de l'enseignement supérieur, c'est 26 milliards d'euros prévus en 2017, la Défense 32.44 milliards, l'enseignement scolaire 50 milliards.

Ou est passé cet argent? Trop tôt pour le dire

C'est la conclusion que j'en tire. La loi oblige France Stratégie, l'ancien commissariat au plan, à présenter chaque année, au moment du projet de loi de finance une évaluation du dispositif. Or cet organisme placé auprès du premier ministre a l’honnêteté de le reconnaître dans le rapport qu'il a produit hier:

"Ces analyses laissent un certain nombre de questions sans réponse. (...) Le recul de deux ans reste tès insuffisant au regard de certains délais d'action du CICE, il faudra encore plusieurs années pour en tirer un bilan exhaustif".

D'abord, le Rapport 2016 du Comité de suivi du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi (c'est le nom) est censé dire ce qu'il s'est passé en 2013 et 2014... mais les données de 2014 n'ont pas toutes été produites à ce jour. Malgré la pression mise sur les collecteurs de ces données (ACOSS, Insee, DGFIP, service statistique du ministère de l'Enseignement et de la Recherche supérieure) pour accélérer leur mise à disposition, les chercheurs ont travaillé sur des données incomplètes pour l'année 2014. Un nouveau rapport plus complet nous est d'ailleurs promis pour janvier 2017, avec les données complètes de 2014.

Ensuite, les réserves associées à ce rapport sont aussi la conséquence du sérieux scientifique de la démarche mise en oeuvre par France Stratégie. France Stratégie a lancé un appel d'offre et sélectionné trois laboratoires de recherche:

Sur l'emploi, les résultats n'ont pas été convergents. Le TEPP a conclu à la création ou la sauvegarde de 45 000 à 115 000 emplois. Le LIEPP n'a décelé qu'un effet positif sur les salaires horaires. Un comité d'experts s'est réuni à plusieurs reprises, et en septembre il a tranché. OUF, c'est l'étude qui concluait à la création d'emplois qui a été jugé plus solide. D'où cette estimation d'un probable effet sur 50 à 100 000 emplois créés ou sauvegardés.

Liste des experts consultés: Philippe Askénazy (CNRS-ENS-PSE), Louis Boisset (DG Trésor), Matthieu Crozet (Chinese University of Hong Kong), Marc Ferracci (université Panthéon Assas-CRED, CREST-ENSAE, conseiller scientifique à France Stratégie), Gérard Forgeot (DGFiP), Cyrille Hagneré (Acoss), Florian Lezec (MENESR), Claude Mathieu (université Paris Est Créteil, conseiller scientifique à France Stratégie), Benoît Mulkay (université Montpellier 1), Benjamin Nefussi (DG Trésor), Benoît Ourliac (Dares), Sébastien Roux (Insee, CREST, Ined), Alain Trannoy (EHESS, AMSE, conseiller scientifique à France Stratégie)

Pourquoi deux résultats différents?

Ce qui est intéressant c'est que les deux équipes ont utilisé des méthodes expérimentales, celles qui sont vantées dans le livre "le Négationnisme économique", dont on a déjà parlé dans ce billet. Les sciences économiques à feu et à sang.

Vous trouverez toutes les précisions méthodologiques dans le rapport (page 81 à 109), mais en gros, pour résumer le TEPP a comparé des groupes d'entreprises très différentes entre elles en fonction de leur exposition au CICE, et le LEPP a procédé par rapprochement. La difficulté c'est que le CICE ayant été implanté partout en France en même temps, il n'y a pas de territoire test. Si on avait fait comme pour le RSA, c'est à dire une expérimentation dans certains départements, puis une extension, il aurait été possible de comparer et d'analyser plus finement. D'où cette réflexion que je pose là: et si quand ils inventent des dispositifs les pouvoirs publics faisaient en sorte qu'ils soient évaluables? Remarque à laquelle les chercheurs rencontrés hier ont poussé un quasi cri de ralliement :)

Au final, pas de vérité vraie, donc, mais une certitude de la part des trois équipes de chercheurs, tous ces résultats sont prématurés. Et pas seulement sur l'emploi.

  • sur la compétitivité, aucun effet n'a encore été constaté. Pas plus que sur les exportations alors que c'était l'un des but de la mesure, l'équipe de l'OFCE qui mesure cet effet pense que les entreprises sont encore dans l'attentisme
  • sur l'investissement, aucun effet non plus
  • sur les marges, l'effet n'est pas non plus évident. L'insee a constaté une remontée des marges des entreprises globalement, mais est-ce lié au CICE, prudence.

Où sont passés les milliards? Dans les dividendes?

Dans le résultat net des entreprises et les salaires, dit l'équipe du LEPP, en partie dans les emplois dit le TEPP, et pourquoi pas dans les dividendes a-t-on demandé hier???

Là aussi, on nous a répondu : trop tôt pour savoir car les entreprises ont pu mettre l'argent en réserve et peut être que l'an prochain ou plus tard, elles le transformeront en investissement, en emplois, en formation pour leur salariés, en amélioration de leurs produits, ou encore dans le dividende. Mais attention, le dividende c'est encore trop restrictif, car cela ne concerne que les sociétés cotées. Pour les entreprises dans lesquelles un ou plusieurs associés se partagent le capital, un travail de fourmi attend les chercheurs qui ne savaient pas me dire hier si au final les données permettraient de le savoir.

Conclusion il faut persévérer chercher encore...

Et c'est là que je dis danger. Tant que le CICE existe, cette évaluation sera faite, c'est dans la loi. Mais s'il y a alternance, et que le nouveau pouvoir invente un autre dispositif, le CASOU, le CISO, je ne sais pas, finie l'obligation légale d'évaluer le CICE, justement au moment où cela deviendra le plus intéressant.

Mais je vais quand même finir sur une note d'espoir. Les chercheurs pourront continuer à mesurer le CICE même si ce n'est plus une obligation, car, depuis 2013, une loi leur a donné accès à des bases de données personnelles, notamment les impôts acquittés par les entreprises et les salaires de plus 20 millions de salariés, des données qui avant étaient réservées aux services de l'Etat. La procédure est ultra-sécurisée, si le projet est accepté (ce qui prend six mois m'a-t-on dit), on accède aux bases de données avec ses empreintes digitales etc.. mais c'est possible.

Et c'est ce qui explique d'ailleurs les précautions prises par le rapport rendu hier. S'il avait été publié par la direction du trésor ou une autre émanation de l'Etat, on n'aurait même pas su qu'il y avait eu débat sur les créations d'emplois liées au CICE. Vous voyez, il y a aussi des choses qui progressent...

L'équipe