

Cinq pays européens ont fait hier à Washington des propositions pour lutter contre l'opacité financière exposée dans les Panama Papers. Création d'une liste noire mondiale, et identification des bénéficiaires effectifs, deux idées anciennes et difficilement applicables.
5 pays européens, Allemagne, Espagne, France, Italie et Grande-Bretagne ont lancé jeudi 14 avril depuis Washington une nouvelle initiative pour lutter contre l'opacité financière. Nouvelle n'est pas le bon adjectif, car il n'y a rien de vraiment neuf dans ce qui est proposé. Vous retrouverez ici le plan d'action tel que présenté par le ministère des finances français.
En gros, ce groupe européen, appelé le G5, propose deux choses:
- une nouvelle liste noire commune aux membres du G20
- la création d'un registre harmonisé pour connaitre les bénéficiaires effectifs, c'est à dire les vrais propriétaires des sociétés écrans.
Des listes, encore des listes....
Les listes noires, on a vu ce que cela donnait. Tout dépend des critères utilisés. Or pas de changement sur ce point, figureraient sur cette liste "les juridictions non coopératives au plan fiscal", c'est à dire les pays qui ne transmettent pas d'informations quand ils sont sollicités.
Deux problèmes se posent
- il y a les pays qui coopèrent, mais qui ne contrôlent pas de façon efficace les agissements de leurs officines, c'est le cas du Panama, félicité pour ses avancées quelques semaines avant le scandale des Panama Papers (Voir la fin de ce billet : Panama Papers, la lutte illusoire contre la finance de l'ombre).
- il y a les pays qui coopèrent activement sans que cela fasse avancer la transparence. C'est le cas des Etats Unis. Au Delaware, au Nevada et dans le Wyoming, aucun papier d'identité n'est nécessaire pour ouvrir une société, donc les Etats Unis peuvent être allant pour échanger des informations, dans ces trois états, ils ne les collectent pas. Concrètement, la coopération judiciaire pourra déboucher sur le nom d'une entreprise dont le propriétaire sera une société enregistrée aux Iles Caïmans, dont le propriétaire sera lui même une société enregistrée aux Iles vierges Britanniques et ainsi de suite. Rien qui permettent d'avancer, mais les Etats-Unis ne figureront pas sur cette liste, car ils "coopèrent" (pour donner donc des informations qu'ils ne collectent pas).
Cette liste promet donc par avance d'être lacunaire, même si le G20 accepte le principe de sa création, ce qui est loin d'être gagné.
Identifier les vrais propriétaires : bonne idée!
"Plus personne ne devrait être en mesure de cacher ses activités derrière de complexes structures juridiques" a assuré Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand.
"Nos administrations fiscales, les autorités compétentes doivent pouvoir connaître les propriétaires réels des diverses entités juridiques et leurs bénéficiaires réels", a déclaré le ministre français des Finances Michel Sapin
Qu'il soit nécessaire de savoir que derrière la société blablabla unlimited enregistrée au Panama ou au Luxembourg, il y a Mr Dupont, c'est une recommandation du GAFI depuis sa création il y a 25 ans. Voir ici en anglais, le dernier rapport de cet organe de lutte contre le blanchiement d'argent à ce sujet: Guidance On Transparency and Beneficial Ownership.
Si on voit le verre à moitié plein on se dit: chouette on ne part donc pas de zéro. Si on voit le verre à moitié vide, on se dit: pourquoi faut-il le proposer à nouveau? Réponse : parce que ça n'a jamais pu être mis en oeuvre car c'est extrêmement compliqué.
Il faut vous imaginer une fusée à plusieurs étages.
1er étage, tous les états, sans exception doivent être d'accord sur la création de ce registre. C'est le stade politique. Rappelons une nouvelle fois qu'aux Etats-Unis on a même pas à fournir des papiers d'identité pour ouvrir une société au Delaware, au Nevada ou au Wyoming, donc c'est pas gagné, mais imaginons que les Panama Papers donnent une impulsion et que tous les pays du monde soient d'accord avec cela.
2ème étage, cette volonté politique doit se traduire dans des lois qui disent: les officines qui créent des sociétés écrans devront écrire en face de blablabla unlimited le nom du bénéficiaire effectif.
- Premier problème, la définition de ce qu'est un bénéficiaire effectif n'est pas stable. Dans les recommandations du GAFI, cela doit être une personne physique, mais certains pays acceptent que des personnes morales soient désignées. Théoriquement, on doit pouvoir retrouver ensuite les propriétaires de la dite personne morale dans un registre, mais tous les pays n'ont pas la même définition de ce qu'est une personne morale, cette uniformisation n'existe même pas au niveau européen.
- Deuxième problème, avoir fait voter ces lois ne garantit rien. On l'a vu avec le Panama. Le cabinet Monsack Fonseca demandait bien les papiers d'identité des propriétaires des sociétés qu'il créait, sinon on n'aurait pas retrouvé leur nom. Mais on a vu aussi que parfois, il acceptait, moyennant finance, de fermer les yeux sur la réelle identité de ces propriétaires, ce fut notamment le cas avec la société Générale selon les Panama Papers (voir ici un article qui aborde bien cette question)
Ce qui pose la question du contrôle.
Troisième étage de la fusée. Qui vérifie que les listes qui sont établies sont sérieuses et que c'est bien le nom du bénéficiaire réel qui figure dans le registre? Le GAFI, contrôle que les lois ont été votées une fois que le pays s'y est engagé mais il ne va pas dans chaque officine pour vérifier les registres. C'est aux autorités de régulation nationale de faire ce travail. Parfois elles le font, comme en France, où il y a des sanctions à la clé, parfois elles le font mal, ce fut le cas au PANAMA, mais aux Etats Unis ça n'est pas mieux. Comme le rapporte cet article suisse, une étude internationale conduite par des chercheurs de l'Université du Texas, Brigham et Griffith a montré que les petits pays pouvaient être plus rigoureux que les Etats Unis pour identifier les bénéficiaires réels. En gros, les chercheurs ont envoyé 7400 demandes par e-mail à 3700 fournisseurs d’incorporations de sociétés dans 182 pays. Une fois sur deux, aucune vérification adéquate de l’identité du client n’a été menée par les fournisseurs de sociétés écrans, et dans 22% des cas les prestataires n’ont requis aucun document d’identité. Voir ici cette étude en anglais.
4ème étage, les sanctions. L'initiative européenne les évoque, mais sans contrôle efficace (au troisième étage), pas de sanction possible. On pourrait imaginer un corps d'inspecteur internationaux, chargé de ce contrôle, mais ça personne ne le propose. Ce serait aller très très loin dans la gouvernance mondiale.
Moralité, cette idée de registre mondial des bénéficiaires effectifs pose exactement les mêmes défis qu'auparavant, et butera sur le même écueil: la mise en oeuvre.
Pourquoi ne pas interdire les sociétés écrans?
Ne serait-ce pas plus simple alors d'interdire les sociétés écrans? Pourquoi prôner la transparence et autoriser ce qui garanti l'anonymat?
Je fais une suggestion à nos responsables politiques: avant de nous proposer des solutions qui permettent à ces sociétés écrans d'exister, il faut nous convaincre de leur utilité, exemple à l'appui, et si possible pas toujours le même. A quoi ça sert? Dites nous! Pourquoi voulez-vous les préserver? Ce serait l'étage zéro de la fusée, celui qui justifie ceux du dessus, mais cette explication est totalement absente du débat. Même le Gafi dans son rapport sur les bénéficiaires effectifs précité en préambule écrit:
"En dépit du rôle légitime et essentiel que les trusts, les fondations, les partenariats et tout autre type d'arrangement légal, joue dans l'économie mondiale, dans certaines conditions, leur usage a été détourné pour des usages illicites: blanchiment d'argent, chantage, corruption, évasion fiscale et financement du terrorisme".
Nul part pourtant dans ce rapport, n'est précisé ce rôle légitime et essentiel. Je vous renvoie vers un précédent billet: Trust, une arme anti-sociale. Vous y trouverez un panorama de la "lutte" contre cet instrument d'opacité, et des liens éclairants vers les argumentaires des cabinets qui proposent la création de trusts.
Marie Viennot
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