Trop d’excédents (allemands) nuisent à la santé (de l'économie européenne)

Manifestations de salariés allemands du secteur automobile pour demander des augmentations de salaires en mai 2016
Manifestations de salariés allemands du secteur automobile pour demander des augmentations de salaires en mai 2016 ©AFP - Deniz Calaga
Manifestations de salariés allemands du secteur automobile pour demander des augmentations de salaires en mai 2016 ©AFP - Deniz Calaga
Manifestations de salariés allemands du secteur automobile pour demander des augmentations de salaires en mai 2016 ©AFP - Deniz Calaga
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La commission européenne vient de publier son diagnostic sur les économies européennes. Les déficits se résorbent dans l'UE, mais les excédents allemands explosent les compteurs et sont eux aussi épinglés par la commission car ils pèsent sur l'économie des autres pays. Explications.

Ce diagnostic est l'une des étapes de ce qu'on appelle le semestre européen, c'est à dire le contrôle par Bruxelles des comptes de chaque pays de l'Union Européenne. Il peut déboucher ensuite sur des recommandations, plus ou moins appuyées, et éventuellement ensuite sur des amendes, en cas de non respect des règles budgétaires.

Il y a notamment la bien connue règle des 3% de déficit maximum rapporté au PIB, mais il y a d'autres critères. Les excédents s'ils sont trop forts, sont eux aussi mal vus.

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6 pays, dont la France, présentent encore des déséquilibres jugés excessifs pour leur trop fort endettement ou déficit. C'est en gros un feu rouge, l'étape d'après c'est l'amende (même si aucune amende n'a jamais été infligée à ce jour). Mais dans ce diagnostic la commission juge que côté déficit, il y a un vrai mieux. En revanche, elle note que les excédents ont encore augmenté.

"Les déficits des comptes ont été corrigés, en revanche, les excédents augmentent. Large current account deficits have been corrected but large surpluses have been growing".

Cela concerne l'Allemagne en premier lieu, mais aussi les Pays bas. Ce qui vaut à ces deux pays de se retrouver dans la liste des pays qui présentent des déséquilibres économiques, alors que leurs finances publiques sont au carrés.

Solidarité ou éclatement de la zone euro?

Les excédents ne sont pas forcément bon pour l'économie européenne parce qu'ils pèsent sur les économies alentour. Jusqu'à il y a 5 ans, la commission ne s'y intéressait pas: ce qui comptait c'était de réduire les déficits, mais la crise des dettes européennes en 2011, avec pour climax la crise grecque, toujours en cours, a montré qu'au lieu de converger, les économies européennes divergeaient fortement. En gros, au sud des déficits, au nord des excédents.

On a la même chose entre le sud et le nord de l'Italie, ou l'Ile de france et certaines régions plus pauvres de France, mais au sein d'un même pays, il y a une solidarité, par le biais des impots et des aides sociales, l'équilibre se fait. Cette solidarité n'existe pas dans l'UE, ni dans la zone euro (et pas prêt d'exister).

Dans "Euro, par ici la sortie", Marie-Paule Virard et Patrick Artus écrivent :

Un savant calcul a montré récemment que si on voulait rééquilibrer l'ensemble de la zone euro, il faudrait transférer l'équivalent de 8% du PIB des pays du nord de la zone euro vers ceux du sud (l'équivalent de ce qui a été transféré entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de l'Est avec la réunification)!

Cette solidarité n'est pas à l'agenda européen, il n'y a qu'à voir le traitement de la crise grecque. Ici un dernier billet sur le sujet (avec des liens vers de très nombreux autres :) Grèce: qui veut un Grexit

Avant l'Euro, ces déséquilibres se résorbaient grâce au taux de change. La livre italienne baissait, le deutschemark grimpait, du coup, les produits italiens redevenaient compétitifs, ce qui donnait un coup de fouet aux exportations italiennes, et il y avait comme ça une sorte de mécanisme de correction des déséquilibres. Cela n'était pas l'idéal, mais il y avait néanmoins un rééquilibrage "naturel".

Avec l'union monétaire, ce mécanisme d'ajustement n'existe plus. Le seul moyen pour un pays de redevenir compétitif dans la zone euro, c'est ce qu'on appelle la dévaluation interne, c'est à dire la dévaluation par la baisse des salaires, ou des cotisations sur les salaires.

Pourquoi la déflation?

On est dans ce processus partout dans la zone euro. Tout le monde essai de s'aligner sur l'Allemagne, qui la première au début des années 2000 a lancé ce mouvement de compression des coûts salariaux (certes l'Allemagne a aussi un fort avantage en terme de ce qu'on appelle la compétitivité hors prix -positionnement de gamme, effet de marque et de réputation). Voir ci dessous ce graphique de la fondation Robert Schuman, et l'analyse qui l'accompagne.

L'évolution des coûts salariaux nonimaux mis en graphique par la fondation Schuman
L'évolution des coûts salariaux nonimaux mis en graphique par la fondation Schuman
- Fondation Robert Schuman

Cette dévaluation interne n'est pas bonne pour deux raisons.

  1. cela créée de la déflation. On estime que pour avoir une inflation a 2%, qui est l'objectif de la banque centrale européenne, il faut une progression des salaires à peu près de 2% aussi. La France respecte à peu près cette règle implicite, en revanche l'Allemagne la viole depuis 16 ans. C'est bon pour ses exportations, mais c'est mauvais pour tous ses voisins. Mauvais pourquoi?
  2. parce que ces mêmes voisins sont endettés et que quand il y a déflation, la dette est beaucoup plus difficile à rembourser

De plus, les excédents Allemands et Hollandais rendent la balance courante de la zone euro excédentaire à 3% du PIB, ce qui à terme peut tirer le cours de l'Euro vers le haut. Ce n'est pas le cas en ce moment parce que la BCE a alimenté un contre feu avec sa politique très très laxiste, mais quand elle arrêtera (ce qui est prévu dans un an), l'euro pourrait grimper ce qui sera mauvais pour les exportations de tous les pays de la zone euro.

Non les excédents allemands, il ne faut pas leur dire merci.

Ce sont des excédents commerciaux (l'excédent de la balance commerciale allemande est supérieure à celle de la Chine) mais aussi des excédents budgétaires. Or ces excédents sont colossaux: 8.7% du PIB pour la balance des paiements courants alors que la règle implicite, c'est qu'il ne faut pas dépasser 6%.

Des remontrances très modérées...

Pourtant, les remontrances de la commission européenne restent très modérées (peut être aussi pour ne pas alimenter le sentiment anti-européenne à l'approche des élections, comme le note les Echos)

Cela fait plusieurs années que la commission suggère à l'Allemagne d'utiliser ses excédents pour investir et redistribuer ( voir ici le document en anglais sur les recommandations de la commission à l'Allemagne en 2016) ce qui lui permettrait de jouer le rôle de locomotive de la croissance européenne. Mais ces appels sont quasiment sans effet. Le gouvernement allemand dit qu'il va relancer l'investissement, mais l'année suivante, l'excédent de ses comptes est plus fort que l'année précédente.

Pour autant, l'Allemagne n'a pas à s'inquiéter, car la surveillance de la commission européenne est totalement asymétriques, seuls les pays déficitaires risquent des amendes, pas les pays excédentaires. Cela n'est pas écrit noir sur blanc, les règles ne font pas la distinction entre la nature des déséquilibres (qu'ils soient liés à des déficits ou des excédents est censé ne pas importer), mais dans l'application du règlement, il y a une réelle différence. Imaginez si un pays avait un déficit supérieur à 6% du PIB de façon continue depuis 10 ans. La commission et les Etats réagiraient sans doute, alors que là, l'Allemagne dépasse les 6% d'excédents autorisés depuis 10 ans.

"Ces pays (Allemagne Pays Bas Autriche) peuvent avoir aujourd'hui le sentiment que leur position favorable les dispense d'accepter une réorientation de la zone euro, écrit Sébastien Villemot dans L'Economie européenne 2017 (OFCE). Ce serait cependant un calcul à courte vue: les déséquilibres internes à la zone euro menacent son existence même, en particulier en cas de choc financier".

Et les économies européennes de continuer de diverger mais sous la surveillance scrupuleuse de la commission.

Autre analyse complémentaire dans l'article cité dans le tweet ci-dessous

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Marie Viennot

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