France-Algérie : le vrai tabou n'est pas la guerre

France Culture
Publicité

C’est un divorce qui s’est mal passé et dont les plaies ne sont pas fermées, cinquante ans après. La preuve : la simple évocation de la date du 19 mars, anniversaire du cessez le feu des accords d’Evian provoquera des indignations.

Les fils de harkis raconteront comment leurs pères ont été abandonnés par la France puis massacrés par les algériens, les pieds-noirs ou leurs enfants décriront les jours de terreur du printemps 1962, notamment les tueries à Oran en juillet, au moment de l’indépendance, et les algériens raconteront la terreur infligée à leur communauté par l’OAS…

Publicité

A cela s’ajoutent des rancunes plus ou moins fermentées, qui renvoient d’une manière obsédante à cette guerre, et à ses atrocités, comme si toute évocation de la relation franco allemande devait être accompagnée de rappel des massacres d’Oradour sur Glane ou des bombardements sur Dresde.

Mais c’est comme ça… L’histoire occupe une place obsédante dans les motifs de discorde franco-algérienne. Elle est brandie par les uns et les autres comme une revendication, parce qu’on l’aurait falsifiée. Les Français d’Algérie, né là-bas, se sentent dépossédés d’un droit du sol auquel on droit les algériens de France, et veulent réhabiliter leur vie d’avant, pas forcément le colonialisme, mais leur vie personnelle, faite de travail et de volonté de vivre honorablement, mais en face les Algériens d’Alger, comme ceux de Marseille et de plus loin, peuvent aussitôt s’indigner d’un projet de loi sur « les aspects positifs de la colonisation ».

Tout ramènerait à cette période de 54 à 62, comme si elle résumait les cent trente ans qui précédaient, et les cinquante ans qui suivent, et cette période est présentée comme un tabou : la guerre serait encore occultée, on nierait encore la torture, même si plus personne n’ignore sa pratique, d’ailleurs déjà dénoncée dans l’Express de Françoise Giroud en 1956.

La guerre, la guerre, la guerre.

La guerre et la séparation. Depuis 1962 la France serait en France et l’Algérie en Algérie, chacun chez soi. Comme si cette vision des choses tenait un quart de seconde en se promenant en France, et en se promenant à Alger. Comme si les paraboles de Paris n’étaient pas tournées vers Alger, et celles d’Alger pas tournées vers la France.

Comme si, après la séparation politique des Etats, les Algériens accédant naturellement à leur indépendance, les peuples n’avaient pas continué, tout bonnement, à se côtoyer, à vivre ensemble, bon an mal an, avec ou sans préjugé, avec ou sans méfiance, mais continué vaille que vaille.

Comme si les problèmes étaient ceux d’une vieille guerre d’antan, et pas ceux d’une cohabitation d’aujourd’hui. Comme si le pseudo tabou de la guerre ne cachait un tabou plus radical, et plus contemporain :

Ce tabou, c’est que cinquante ans après leur divorce, la France et l’Algérie n’ont pas pu se séparer.

L'équipe