La pulsion politique du fait divers

France Culture
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C’est compulsif. Un fait divers. Une loi.

Depuis 9 ans, le Parlement a voté 13 textes… intégralement consacrée à la sécurité. Dont 5 spécifiquement consacrés à la lutte contre les délinquants sexuels. S’il ne s’agissait à chaque fois de faits divers insoutenables, ce serait un inventaire à la Prévert.

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Décembre 2004, un patient schizophrène de l’hôpital de Pau tue deux infirmières. Une loi sur l’irresponsabilité pénale.

Juin 2005, une joggeuse est tuée en Seine et Marne. Une loi sur la récidive.

Août 2007, un enfant de 5 ans est enlevé par un pédophile. Une loi sur l’enfermement des criminels sexuels.

Septembre 2009, nouveau meurtre d’une joggeuse. Nouveau projet de loi sur la récidive.

Et sous nos yeux, bis repetita.

Viol et meurtre de la jeune Agnès au Chambon sur Lignon.

4 jours plus tard, demain, projet de loi sur « l’évaluation de la dangerosité » au Conseil des Ministres. Et batterie de mesures pour placer systématiquement en centre fermé tout mineur auteur de crime sexuel.

Qu’on ne se méprenne pas.

Le sommet de l’Etat est dans son rôle quand il manifeste la solidarité nationale avec une famille touchée par un drame atroce.

Il est encore dans son rôle quand il diligente une enquête pour identifier un éventuel dysfonctionnement dans la chaine judiciaire, psychiatrique ou éducative.

Mais une loi… c’est autre chose.

Une loi rédigée à la va vite pour répondre à un cas qui, pour en être épouvantable, n’en est pas moins isolé. C’est un manque singulier de sagesse.

Alors pourquoi cette réponse automatique ?

Il y a ce que les Britanniques appellent la « passion française » pour la loi : voter des textes, encore et encore,… pour mieux les contourner.

Et surtout, il y a cette politique de l’émotion, marque de fabrique de Nicolas Sarkozy. Les saillies du chef de l’Etat contre les magistrats, les psychiatres, les avocats, ne se comptent plus.

Il faut satisfaire le téléspectateur dont on présume qu’il s’identifie à la victime… Et lui donner un coupable. Tout de suite. Sous la pression de médias qui sont autant de pompiers pyromanes.

Illusion d’une réponse immédiate face au traumatisme.

Le procès sera instruit plus tard. Ou jamais.

Peu importe si les criminologues soulignent… combien conjurer totalement la récidive est une illusion et combien prévenir la délinquance sexuelle des adolescents, est une matière infiniment complexe.

A l’aube de la campagne se dessine donc, une nouvelle fois, une préoccupation pathétiquement politicienne : occuper le terrain de l’ordre. Mais uniquement avec les oripeaux de l’émotion.

Les partis de gouvernement seraient bien inspirés de relire la philosophe allemande Hannah Arendt qui a su mesurer combien l’usage immodéré de la compassion en politique est, au bout du compte, l’ennemie de la liberté.

Ils se grandiraient à se garder de cette pulsion du fait divers, de cette gestion démagogue du drame individuel.

Entrer dans cette logique est un calcul politique qui ressemble à de la dynamite. Après l’explosion, il n’en restera qu’un. Et ce sera le Front National.

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