Plusieurs personnalités politiques ont été condamnées hier à de la prison ferme dans ce qu'on appelle l'Affaire Karachi ; elle concerne des soupçons sur le financement de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995. Ce jugement présente deux facettes contradictoires...
Edouard Balladur n'a pas encore été jugé lui-même. L'ancien premier ministre doit comparaître devant la Cour de justice de la République dans les prochains mois.
Mais ce sont plusieurs de ses ex-collaborateurs qui ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Paris. Condamnés lourdement, et c'est la première facette, la première leçon de ce jugement.
Les magistrats n'hésitent plus à sanctionner les malversations financières avec de la prison ferme.
3 ans ferme pour Nicolas Bazire, l'ancien directeur de campagne d'Edouard Balladur.
3 ans ferme pour Renaud Donnedieu de Vabres, l'ex-conseiller du ministre de la Défense à la même époque.
2 ans ferme pour Thierry Gaubert, ancien membre du cabinet du ministère du Budget.
Les juges estiment que les faits « portent une atteinte d’une exceptionnelle gravité au fonctionnement de la vie publique ». Il s'agit de commissions financières prélevées sur des contrats d'armement, et reversées sur le compte de campagne du candidat Balladur.
Est-ce un changement d'époque ? Déjà il y a quelques mois, la condamnation et le séjour de Patrick Balkany en prison avaient surpris.
Surpris car cette décision tranchait avec les peines habituellement dispensées pour ce type d'infractions : de l'emprisonnement avec sursis, assorti d'une amende. Quand les faits ne sont pas prescrits.
Sans doute la tolérance de la société pour ce type de délit s'est-elle amenuisée ces dernières années ?
Oui, avec l'émergence de ce mot-clé de "transparence", promu partout. Avec aussi la méfiance accrue envers le personnel et les institutions politiques.
S'est ancrée parmi les citoyens une tolérance zéro envers ce qu'on appelle parfois les « magouilles ». La figure du politique escroc sympathique a été déboulonnée au profit du politique délinquant honni.
Mais ce jugement est-il vraiment une bonne nouvelle, plus de 25 ans après ? C'est la deuxième facette. Un quart de siècle pour aboutir à des condamnations. Le temps d'une génération, entre les faits reprochés et leur sanction au tribunal !
Bien sûr, une partie de ce délai s'explique par les recours judiciaires déposés par les prévenus. Et c'est évidemment leur droit le plus strict.
Cette lenteur est aussi liée à la complexité du dossier.
Lequel recèle de circuits opaques, d'argent qui transite par des comptes dans plusieurs pays pas toujours collaboratifs. S'y ajoutent les prêtes-noms, les hommes de paille et les nébuleuses militaro-industrielles.
On comprend dès lors pourquoi l'enquête met légèrement plus de temps qu'un épisode de Columbo.
Cela d'autant plus que la justice financière a longtemps manqué de moyens humains et techniques. Des juges d'instruction seuls ou presque.
Or, face à des réseaux aussi sophistiqués, cela revient à poursuivre une Bugatti avec une trottinette électrique - même s'il est vrai que les choses ont un peu changé avec la création du Parquet national financier il y a maintenant un lustre.
Alors ces sanctions, 25 ans après, ont-elles un effet dissuasif ? Inspirent-elles la crainte à ceux qui voudraient aujourd'hui s'adonner à ces jeux de bonneteaux financier ?
Il est permis d'en douter. La République, pour se protéger, doit trouver un juste milieu entre la justice poussive et la justice expéditive.
Frédéric Says
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