

Paris s'attend à des changements sur la forme, mais pas forcément à un alignement sur tous les sujets.
Avec l'arrivée de Joe Biden à la place de Donald Trump, va-t-on « passer de la nuit à la lumière », selon la formule célèbre de Jack Lang après l'élection de François Mitterrand en 1981 ?
Évidemment non. Mais plusieurs éléments laissent entrevoir les prémisses d'une meilleure relation entre Washington et Paris.
D'abord, sur le fond. Pendant sa campagne, Biden a promis le retour des États-Unis dans l'accord de Paris sur le climat. Une décision dont il faudra vérifier les applications concrètes. Mais il y aura ici un meilleur alignement entre les deux pays. Bien loin du soutien de Trump pour la fracturation hydraulique, le pétrole de schiste et les mines de charbon...
Sur le fond toujours, la France pourra sans doute compter sur un allié américain plus fiable dans le dossier turc.
Joe Biden a multiplié les déclarations très tranchées sur le président Erdogan, le qualifiant d'"autocrate", dénonçant son action envers les Kurdes.
« Cela va dans le bon sens », nous disait hier Clément Beaune, le secrétaire d’État aux affaires européennes, « on peut espérer plus d'implication américaine sur le sujet ».
Cet été, Paris s'est senti bien seul quand il fallu aider la Grèce contre les visées expansionnistes d'Ankara en Méditerranée orientale.
Le réinvestissement américain dans l'OTAN, dont fait partie la Turquie, pourrait aussi changer la donne.
Même si, d'ici à l'investiture officielle du nouveau président, fin janvier, le président turc Erdogan peut estimer qu'il a les mains libres, car le pouvoir est en quelque sorte vacant à la Maison Blanche.
Emmanuel Macron et Donald Trump avait pourtant noué une relation personnelle assez forte ; n'était-ce pas un avantage substantiel pour la France ?
Disons que cette relation forte n'a pas entraîné beaucoup de résultats : elle n'a pas permis de convaincre Trump de rester dans l'accord sur le climat, ni dans le deal sur le nucléaire iranien.
Mais c'est vrai, la relation personnelle s'était nouée entre Trump et Macron autour du fait que les deux se considéraient comme des outsiders, des audacieux candidats "hors-système" devenus présidents.
Nulle ressemblance avec Joe Biden, qui est en politique depuis cinquante ans. Néanmoins, le cadre idéologique des deux hommes, Biden et Macron, est beaucoup plus proche.
"Ils sont centristes, libéraux-démocrates", résume Corentin Sellin, professeur, spécialiste de l'histoire des États-Unis.
Les deux sont aussi partisans du multilatéralisme (c'est à dire une organisation collective des discussions).
D'ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dans un tweet, anticipe déjà une « relation rééquilibrée ».
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Rééquilibrée, sans doute. Avec le retour des États-Unis dans les grandes instances que sont l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Peut-être aussi à l'UNESCO.
Néanmoins, pas d'euphorie. Ce sera in fine toujours l'intérêt des États-Unis qui primera. La France verra-t-elle disparaître les droits de douane instaurés par Trump sur les produits français comme le vin ? Rien n'est moins sûr, à court terme.
D'ailleurs, les Américains n'ont pas attendu Donald Trump pour faire prévaloir les rapports de force commerciaux, militaires, économiques. Par exemple, les entreprises européennes avaient été frappées par la justice extra-territoriale américaine - c'est-à-dire une justice qui s'applique en dehors des frontières des États-Unis. Et cela se passait sous Barack Obama.
On ne peut donc pas s'attendre à une relation États-Unis-France qui change du tout au tout...
Elle changera forcément sur la forme. Ce ne seront plus des tweets écrits en majuscules, mais des communiqués diplomatiques, ce ne seront plus des déclarations à l'emporte-pièce mais des décisions étayées.
Et surtout, les relations vont retrouver une forme de prédictibilité. L'on pourra avancer sans crainte qu'une ultime foucade renverse d'un coup le travail accompli.
Par ailleurs, le très francophile Anthony Blinken, proche conseiller de Biden, fait partie des candidats pressentis pour devenir chef de la diplomatie américaine. Voilà un profil qui ne déplaît pas à Paris.
Ciment
Il n'en reste pas moins qu'Emmanuel Macron pourrait regretter l'élection de Joe Biden dans un domaine précis : la construction européenne.
Pour le président français, le Trumpisme était un argument en or pour pousser son idée de souveraineté européenne.
Les pays européens savaient qu'ils ne pouvaient plus faire une confiance aveugle à Washington, notamment en matière de défense. C'était donc leur intérêt de se structurer, de faire exister une Europe-puissance.
Comme le dit le ministre Clément Beaune : « le ton brutal de Donald Trump avait une vertu : remobiliser et souder les Européens. Il était une sorte de ciment ».
La menace passée, le bloc européen risque maintenant de se disloquer. Pour le président français, voilà un domaine où l'on ne passera pas « de la nuit à la lumière ».
Frédéric Says
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