

Parlez-vous Français ? Voilà qui pourrait bien devenir le nouveau débat de cette présidentielle. Explications
- Ludovic Piedtenu Journaliste, correspondant permanent de Radio France en Allemagne, ancien chef du service politique de France Culture
Est-il important de parler français quand on transporte du ciment ou quand on démolit des murs ? La question est posée par un ouvrier ukrainien de la région de Donetsk que mon confrère suisse Richard Werly, correspondant du quotidien Le Temps à Paris a croisé dans la capitale au pied du périphérique. Oleg, c'est son prénom, vient d'une région en guerre, Donetsk, à la frontière russe. Il explique qu'il y a de toutes façons sur les chantiers toujours un contremaître qui parle sa langue. Ces ouvriers sont payés en liquide et le plus souvent recrutés par des employeurs peu scrupuleux, écrit mon confrère, eux-mêmes venus de l'étranger, selon la droite française. Et c'est là que le débat devient politique. Laurent Wauquiez, Lieutenant de Nicolas Sarkozy, Président de la Région Rhône-Alpes-Auvergne promet, à la façon de François Fillon dans cette présidentielle, d'aller jusqu'au bout ! D'aller jusque devant les tribunaux !
Pour défendre la "clause Molière", le surnom donnée à cette mesure qui oblige, à défaut de parler la langue française sur un chantier, la présence d'un interprète aux frais de l'entrepreneur. Une mesure qui jouerait en faveur des petites et moyennes entreprises locales pour gagner les marchés publics et qui viserait à lutter contre les travailleurs détachés en provenance des pays à bas salaires de l'Union Européenne, environ 300 000 en France et son corollaire, souvent le travail clandestin, ajoutez dans le secteur du bâtiment, 200 000 ouvriers. Et si l'on parle aujourd'hui de cette "clause Molière", c'est parce que Laurent Wauquiez a été prié de retirer cette mesure par le préfet de région qui invoque la "discrimination sur la nationalité des entreprises candidates contraires aux principes constitutionnels de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats". Les tribunaux vont être saisis, le débat juridique s'annonce explosif. Comme l'écrit mon confrère, Richard Werly, qui a bien saisi l'air du temps en France depuis son arrivée il y a deux ou trois ans : "la droite, en pleine bataille identitaire avec le Front National, tient à son symbole."
En réalité, cela fait un an tout juste que ce mécanisme a fait son apparition dans la ville d'Angoulême, reprise au Parti Socialiste par Les Républicains.
Avec un effet boule de neige chez les élus locaux de droite qui ont constitué le collectif "Franc-Parler". Xavier Bertrand l'a décrété dans la région Hauts-de-France. La Région Centre a voté l'amendement proposé par le sarkozyste Guillaume Peltier. En PACA, comme la proposition est venue de l'élue FN Marion Maréchal Le Pen, la majorité du Président Christian Estrosi a préféré la retoquer. Il y a un an encore, un député vendéen des Républicains, Yannick Moreau a déposé un amendement dans le cadre de la loi Travail. Mais il n'y a pas eu de débat à l'Assemblée, vous le savez, pour cause de 49-3. Avec un an de retard sur ses collègues des autres régions, Valérie Pécresse a fait adopter hier par la région Île de France cette "clause Molière". Mais elle a face à elle, le même préfet qui s'est opposé à Laurent Wauquiez, car le haut-fonctionnaire a entre temps été muté de la région Rhône-Alpes-Auvergne à la région Île de France. Beaucoup plus prompt, il y a un an déjà, dans la foulée de la ville d'Angoulême, Bruno Retailleau, président de la région Pays de la Loire, aujourd'hui bras droit du candidat François Fillon, a lui aussi choisi d'adopter cette clause. François Fillon pourrait l'intégrer très prochainement dit-on dans son projet présidentiel.
Personne n'est avare en la matière. Voilà que Molière fait son apparition dans la campagne !
Pas pour mettre la culture au cœur des débats ou alors la culture dans sa version identitaire. Parler français, pour les défenseurs de cette "clause Molière" serait d'abord une question de sécurité sur les chantiers ! Fourberies, aurait dit Jean-Baptiste Poquelin. Cela cache mal la question de l'identité !
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