Les différents acteurs du conflit sur les retraites, qu'ils soient responsables politiques ou syndicaux, sont mus par des intérêts et des logiques difficilement compatibles les uns et les unes avec les autres.
Si l'on regarde du côté des syndicats les plus contestataires, au premier rang desquels se trouve la CGT, la logique qui conduit son action se traduit par le même message, répété à l'envie par Philippe Martinez depuis un mois et demi, cette réforme, il n'en veut pas :
On demande toujours d'arrêter ce projet de réforme, donc le retrait, et de travailler sérieusement sur l'amélioration du système actuel. Voilà. C'est clair ?!
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Ce qui conduit Philippe Martinez à se barricader derrière cette revendication constante est d'abord un positionnement politique.
La CGT s'est toujours inscrite dans une veine très à gauche, d'inspiration communiste, et elle considère l'actuel pouvoir exécutif comme une incarnation du grand ennemi libéral qu'il convient de faire plier quelqu'en soit le prix.
Mais Philippe Martinez est aussi mû par une autre considération.
A la CGT, il y a de moins en moins d'adhérents. C'est le constat qui a été fait lors du dernier congrès de la Centrale Syndicale en avril dernier. Ils étaient 653 000 au dernier recensement, ce qui indique une perte de 23 000 militants en l'espace de deux ans. Et à l'image de ce qui se passe au sein des formations politiques, ceux qui restent sont les plus durs, les plus radicalisés.
Philippe Martinez, s'il veut conserver sa légitimité, se doit donc de porter un discours de plus en plus en intransigeant.
A la CFDT, c'est un peu la même chose.
La base est plus dure, plus intransigeante que son leader Laurent Berger. On a pu le constater à l'occasion des fêtes de fin d'année quand celui-ci s'est déclaré en faveur d'une trêve. Une partie des adhérents de la CFDT ne l'ont pas suivi, notamment à la SNCF.
C'est la raison pour laquelle Laurent Berger continue à porter le discours réformiste de la CFDT inspiré par Edmond Maire à la fin des années 70. Mais avec des accents un peu plus intransigeants que par le passé :
- On continue à faire notre action de syndicaliste qui, à la fois, soutient un système universel des retraites. Je tiens à le dire. Mais en même temps rejette cet âge pivot dans ce projet. - Est-ce qu'ils sont sur la même ligne, d'ailleurs, le président de la République et le Premier ministre, aujourd'hui ? - Probablement. Mais j'en sais rien. Et en fait, c'est pas mon problème.
(Déclaration faite hier soir au micro de nos confrères de France Info.)
Laurent Berger défend ses intérêts qui le poussent à ne pas se soucier du fait qu'Emmanuel Macron et Edouard Philippe soient ou non sur la même longueur d'ondes.
Et qui le poussent également à se différencier de la CGT, puisque la CFDT ne s'est pas associée à la journée de grève et de manifestations de ce jeudi 9 janvier. Elle a prévue de participer à des actions après demain samedi.
Emmanuel Macron et Edouard Philippe ne sont pas, non plus, tout à fait sur la même longueur d'ondes
Le président de la République et le Premier ministre ont eux aussi des intérêts divergents.
Emmanuel Macron a exprimé son intérêt il y a quelques jours à l'occasion des vœux du nouvel an :
J'attends du gouvernement d'Edouard Philippe, avec les organisations syndicales et patronales qui le veulent, qu'il trouve la voie d'un compromis rapide.
Pour Emmanuel Macron, il faut maintenant sortir de l'un des plus longs conflits sociaux qu'ait connu la Vème République. Les français en ont assez.
Mais il faut aussi que cette réforme se fasse afin de montrer qu'il continue sa marche en avant, qu'il poursuit son action de président réformateur. C'est essentiel dans la perspective d'une éventuelle réélection en 2022.
Il convient donc de trouver un accord avec les organisations syndicales de bonne volonté.
Pour Edouard Philippe, c'est différent. Cette réforme des retraites n'est pas sa réforme.
Quand il était aux côtés d'Alain Juppé, au moment de la primaire à droite en 2016, le programme pour les retraites, c'était un allongement de l'âge de départ à 64, voire à 65 ans. Il reste donc fidèle à son "ADN juppéiste" et met en avant le nécessaire équilibre financier du système.
Propos tenus avant hier matin sur RTL :
Je suis attaché à un principe qui veut que cette réforme ne soit pas une réforme irresponsable. Ca veut dire (encore une fois, je voudrais être clair) que je pense qu'il est de ma responsabilité de veiller à ce que le système futur soit équilibré. Et je ne démords pas de cela.
Et s'il n'en démord pas, c'est aussi pour une autre raison. Parce qu'il ne faut pas insulter l'avenir. Car il a un avenir, Edouard Philippe, après Matignon.
Au poste de Premier ministre, il a acquis à la fois une notoriété et une stature d'homme d'Etat. Il n'a plus grand chose à y gagner si ce n'est, dans la perspective d'une éventuelle candidature à l'Elysée, en 2022, en 2027... l'image qu'il aura laissée.
Et l'image qu'il entend vraisemblablement laissée est celle d'un Premier ministre ferme, responsable, qui n'aura pas cédé face à une gauche perçue comme laxiste par un électorat de droite et de centre droit.
Tous ces intérêts divergents chez les principaux acteurs de ce conflit, et les logiques des différents courants (politiques et syndicaux) auxquels ils appartiennent, font qu'ils semblent plus être dans une compétition, chacun dans leur couloir, que dans la recherche d'un compromis qui commanderait que tout le monde arrête la course en avant dans laquelle il est lancé.
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