

Après l'assassinat de Samuel Paty, quelle prise de conscience collective ?
La décapitation de Samuel Paty va-t-elle susciter de fausses polémiques ou une prise de conscience ? Tel est l'enjeu politique de ces prochains jours.
Bien sûr, les différents responsables publics ont déjà fait part de leur indignation - comment faire moins dans de telles circonstances ? Certains d'entre eux ont livré des pistes de réflexion après ce drame.
Pour Olivier Faure, le patron du PS, il faut dissoudre "les associations qui propagent la haine".
Christian Jacob, chef de file du parti Les Républicains, souhaite lui un référendum sur "l'expulsion des délinquants étrangers".
Quant à Jean-Luc Mélenchon, il estime qu'"il y a un problème avec la communauté tchétchène". Le dirigeant de la France insoumise demande des services de renseignement plus efficaces.
Mais la véritable union nationale ne peut venir que d'un examen des faits, selon vous...
Oui, d'un examen précis du déroulement de cet assassinat. On l'a dit : ce sont le père d'une élève et un militant islamiste connu des services de police qui ont fait monter la polémique - et donc la pression sur les épaules de cet enseignant.
Le parent d'élève, Brahim C., a diffusé plusieurs vidéos en traitant Samuel Paty de "voyou". Il a aussi relayé le nom de l'enseignant. Il affirme que le professeur aurait, de lui-même, fait sortir de sa salle les élèves musulmans. Une version démentie ensuite par les enfants. D'après Franceinfo, sa fille n'était pas dans cette classe d'éducation civique, tenue par Samuel Paty.
Le prédicateur islamiste, Abdelhakim S., a lui aussi multiplié les vidéos d'indignation, menaçant même d'organiser une manifestation devant le collège.
Tous deux sont en garde à vue et la justice se déterminera sur leur culpabilité. Dernier ingrédient : la page facebook de la grande mosquée de Pantin a également relayé ces vidéos auprès de ses abonnés, avant de les supprimer, le soir de l'assassinat.
Mais si l'on dézoome, l'on croise ici des ingrédients qui se retrouvent hélas dans bien d'autres affaires.
Un témoignage viral, agrémenté d'un mensonge, qui déforme une histoire. Le mensonge nourrit l'indignation, qui propage la rumeur jusqu'à des publics qui la relaient à leur tour, sans vérification.
Comme le dit l'adage, "le mensonge prend l'avion, quand la vérité se déplace à pieds."
L'on trouve aussi la menace insidieuse. Une manifestation devant un collège, cela s'appelle mettre la pression au corps enseignant.
C'est ce que le politologue Asiem El Difraoui appelle un terreau propice...
Oui, intéressante analyse d'Asiem El Difraoui relayée hier par l'agence Reuters. Il récuse l'expression « Loup solitaire ».
Je le cite : "Il y a toujours derrière ces attaques une forme de terreau ». Terreau numérique ou terreau physique, explique le politologue : « Ce genre d'attaques se produit sur un terrain où il y a eu un vrai travail d'endoctrinement."
Dès lors, pour combattre ce terreau, n'est-il pas venu le moment de lutter contre ces prédicateurs qui n'ont rien d'homme de foi mais tout de lobbyistes ?
N'est-il pas venu le moment de faire preuve de plus d'esprit critique envers les associations et autres ONG para-religieuses au discours ambigu ou violent ?
En somme, leur appliquer le même esprit critique qu'on applique aux partis politiques, y compris dans la sphère médiatique : les mêmes « décodages », les mêmes « désintox », les mêmes « décryptages »... car ces structures, elles aussi, font de la politique. Elles ne se présentent pas aux élections, mais elles produisent de la communication et du discours politique.
Dans le cas contraire, le risque est grand que la situation empire.
Si une idéologie religieuse est aujourd'hui capable de faire porter une vive pression sur l'école, à cause de quelques caricatures... qu'en sera-t-il dans cinq ans ?
Y aura-t-il des menaces de manifestation parce qu'un professeur de sciences aura osé affirmer que les espèces animales évoluent, à rebours du créationnisme divin ?
Querelles infimes
Pour cela, les responsables politiques doivent prendre la mesure de l'époque. Et oublier leurs querelles, infimes au regard de l'enjeu.
Ces dernières années, l'on a beaucoup vu ce cri du cœur : « je suis Charlie », qui s'est hélas dupliqué à chaque attentat : « je suis policier », je suis juif », jusqu'à « je suis enseignant ».
Ce slogan est sémantiquement intéressant : avec « je suis », il traduit une prise de conscience, un engagement, une solidarité... à l'échelle individuelle.
Mais pour passer à l'action, cette conscience doit être collective et sociétale. Il faut passer du « Je suis » au « Nous sommes ».
Frédéric Says
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