

Les responsables politiques ont coutume de délivrer des messages subliminaux qui ne peuvent pas être exprimés avec des mots.
En attendant le remaniement du gouvernement, le Premier ministre, Édouard Philippe, s'en est allé, hier, faire un petit tour dans sa ville du Havre. Ville dont il a été maire et député avant d'accéder aux hautes responsabilités qu'il occupe actuellement.
Et ce déplacement a été décidé au tout dernier moment. Les journalistes en ont été informé mercredi après midi, la veille donc, malgré un emploi du temps très chargé. Son équipe de conseillers a réussi à dégager quelques heures pour qu'il aille assister, hier matin, 10 heures, à des "journées d'études organisées par les élus du littoral" et dans la foulée, à 11 heures, à l'inauguration du 130e Congrès des greffiers des tribunaux de commerce.
Evidemment, on comprend à leur énoncé, que ce n'est pas l'importance de ces événements, ni leur dimension nationale, qui ont conduit le premier ministre à se précipiter ainsi pour aller faire étape en Normandie.
Non. C'est qu'il avait un message à délivrer.
Un de ces messages subliminaux qu'on délivre en politique pour dire ce qu'on ne peut pas tout à fait exprimer avec des mots :
J'ai toujours hâte pour ma part de retrouver la mer... J'avais particulièrement hâte aujourd'hui, même si l'impatience n'est pas dans ma nature
Le message verbal d’Édouard Philippe, dans la forme, s'adresse à l'assistance, à ceux qui sont présents. Mais il fait référence à ce qui se passe au niveau national, à savoir à ce remaniement qui traîne en longueur et qui commence manifestement à l'agacer.
Et au delà des mots, ce n'est pas vraiment ce qui est dit qui est important. C'est le message implicite que délivre ce déplacement impromptu du premier ministre en direction du chef de l’État. Un message qui dit en substance à peu près ceci :
- Tu vois, cher Emmanuel Macron, si, sur le plan politique, on ne s'entend plus, j'ai une ville qui m'attend, comme Gérard Collomb.
- Je peux y retourner, tu peux constater qu'on m'y accueille à bras ouvert.
- J'ai un avenir politique possible, moi, si jamais les circonstances décident que je quitte Matignon. Et il est au Havre, cet avenir potentiel.
- Tandis que toi, président de la République, ton avenir, il dépend beaucoup de moi qui suis un des derniers poids lourd politique de ton gouvernement. Dès lors, fais attention !
Voilà, c'est une manière pour Édouard Philippe de montrer qu'il a pris du poids politique au cours de cette séquence, et qu'il faut qu'Emmanuel Macron prenne cet état de fait en considération dans les discussions qu'ils ont, actuellement, en vue du remaniement.
Et en politique, c'est très courant cette manière de délivrer des messages sans en avoir l'air.
Il y a ceux qui y vont avec de gros sabots. Comme Ségolène Royal, début septembre, juste après la démission de Nicolas Hulot. Elle a multiplié les interventions médiatiques. Elle a notamment accordé une interview à Yves Thréard du Figaro :
- Il faut que l'environnement devienne prioritaire dans tous les secteurs de l'action gouvernementale
- Je ne vais pas vous demander si vous serez ministre de l'écologie, puisque vous n'allez pas me répondre ?
- C'est pas une question de personne, aujourd'hui...
Bien entendu que c'était une question de personne, en l’occurrence elle, qui faisait ainsi acte de candidature pour remplacer le ministre démissionnaire. (Vous remarquerez qu'elle est aussi très présente dans les médias, ces jours ci, alors qu'on est à la veille d'un remaniement ministériel)
Autre exemple édifiant de message subliminal délivré par une personnalité politique. C'était le 5 mars 2017.
François Fillon était encore candidat à l'élection présidentielle. Il venait d'apprendre sa prochaine en mise en examen. Il était alors question d'avoir recours à ce qu'on appelait le plan B pour le remplacer, à savoir Alain Juppé.
Et François Fillon, dans un ultime réflexe de survie, avait décidé d'organiser un meeting, place du Trocadéro à Paris, pour se re-légitimer et pour maintenir sa candidature :
Mes chers compatriotes, ils pensent que je suis seul (nooooonnnn). Ils veulent que je sois seul (nooooonnnnn). est-ce que nous sommes seuls ? (nooooonnnnn)
Beaucoup pensait alors que c'était plié, qu'il ne pourrait pas se maintenir.
Mais alors qu'il prononçait ses mots qu'on vient d'entendre, est arrivé François Baroin. François Baroin qui s'est placé juste derrière Fillon, la tête bien en vue au dessus de son épaule gauche.
Baroin avait été envoyé là par Nicolas Sarkozy. Sarkozy qui signifiait ainsi, par caméras interposées, qu'il conservait son soutien à François Fillon et qu'il interdisait à Alain Juppé de le remplacer comme candidat de la droite à la présidentielle. Le lendemain, ni une ni deux, Juppé faisait une conférence de presse pour déclarer qu'il ne serait pas candidat, qu'il ne serait pas le plan B.
Et il en est ainsi de la vie politique.
Nicolas Sarkozy est assez coutumier du fait. Après sa défaite en 2012, il s'était mis à envoyer ce qu'on avait appeler des cartes postales, manière de signifier ainsi à ses troupes : "préparez vous, je vais revenir". (Ce qui d'ailleurs n'est pas sans ressemblance avec l'actuelle attitude de François Hollande qui dédicace ses livres à tout va et multiplie les interventions dans les médias)
Voilà, tout ça parce qu'en politique, il y a des choses qu'on ne peut pas dire des mots.
Soit parce que c'est prématuré, soit parce que ce serait trop brutal. Prenez Edouard Philippe, par exemple. S'il disait à Emmanuel Macron : "Bon, regarde la situation, il faut que tu m'écoutes maintenant", ça pourrait être perçu par le président comme une déclaration de guerre. Or sous cette forme, non dite, c'est beaucoup moins direct, c'est beaucoup plus courtois.
Ce n'en est pas moins cruel et violent comme l'est la politique. Mais c'est précisément quand elle est ritualisée que la violence est acceptable.
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