Débat présidentiel : y a-t-il eu un vainqueur ?

France Culture
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Et d'ailleurs, est-il possible de désigner un gagnant, au terme de ce débat qui n'en fut pas vraiment un ?

Même si ces grand-messes sont abondamment présentées comme cruciales, incontournables, décisives (avec la musique de générique qui va bien...) il est généralement admis que les duels télévisés ne changent pas la donne. Sauf exception, ils confortent surtout les convaincus.

D’où les chiffres du sondage Elabe d’hier soir : 63% des téléspectateurs ont jugé Emmanuel Macron le plus convaincant contre 34% pour sa rivale. Soit un score assez proche de leurs intentions de vote respectives. Il serait donc bien présomptueux de désigner un gagnant - souvenons-nous que les médias américains avaient jugé Hillary Clinton bien supérieure à Donald Trump dans leurs joutes télévisées...

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Toutefois, on peut noter des moments-charnière. Le passage sur la sortie de l'euro, par exemple. C'est l'une des propositions frontistes qui empêchent l'électorat filloniste de basculer. Face à un tel changement de paradigme monétaire (qui concerne la macro-économie aussi bien que le quotidien des Français), on attendait forcément une argumentation technique, précise, étudiée au millimètre. Et ce ne fut pas le cas.

De Gaulle partout, gaullisme nul part

Il est intéressant aussi de constater combien les points de clivages évoluent. Lors des deux précédents débats, en 2007 et 2012, l'existence de l'euro allait de soi. Elle n'était même pas une question. En revanche, un sujet comme le nucléaire était très clivant. Hier soir, le mot ne fut même pas prononcé.

Sur le plateau, autour de cette vaste table, on a vu quatre personnes, mais en réalité, il y en avait trois. Les deux candidats, bien sûr, auxquels il faut ajouter... non pas les deux journalistes (portés disparus, très effacés dans ce débat), mais le général de Gaulle. Une figure tutélaire convoquée incessamment par les deux adversaires. Y compris pour défendre des positions opposées, notamment sur les relations internationales :

-Emmanuel Macron : "La ligne que je veux avoir pour la France, c'est une ligne que je qualifierais de ligne gaullo-mitterrandienne (...)"

-Marine Le Pen : "La France doit retrouver son indépendance, ce que le général de Gaulle avait imposé à de multiples reprises".

Évidemment, comme à chaque débat présidentiel, les candidats sont arrivés munis de leurs petites phrases très préparées :

-Marine Le Pen : "Moi, je suis la candidate du pouvoir d'achat, vous êtes le candidat du pouvoir d'acheter."

-Emmanuel Macron : "Face à votre esprit de défaite, moi je porte l'esprit de conquête français."

Certes, les formules bien ficelées ne sont pas une nouveauté dans ce type d'exercice ("vous n'avez pas le monopole du cœur"). Mais les échanges d’hier soir se sont tout de même singularisés par leur bassesse. Si la candidate du Front national a dénoncé la baisse du niveau dans les écoles de la République, elle n’a pas eu le même préoccupation pour celui du débat. La plupart de ses attaques contre Emmanuel Macron furent un concentré des meilleures fake news des sites d’extrême droite - pardon de "réinformation" :

"J'espère qu'on n'apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas, monsieur Macron"

La méthode ne vise pas seulement à déstabiliser l’adversaire. Elle pousse aussi le téléspectateur à aller se renseigner sur ces rumeurs. Et donc à tomber sur ces sites, dont certains ont connu une poussée de fréquentation, comme l’a montré hier soir le spécialiste des réseaux sociaux Nicolas Vanderbiest. Un poison lent.

"Soumission" contre "indignité"

Les mots parmi les plus martelés hier soir ? "Soumission" chez Marine Le Pen ; "indignité" chez Emmanuel Macron, ce qui dit bien l’affrontement des postures plus que des projets. Résultat : la mission d’éclairage des programmes de chacun des candidats a été laborieuse, pour ne pas dire plus. Il aurait pourtant été utile de questionner plus avant, par exemple, le projet de réforme du code du travail d’Emmanuel Macron. Mais au lieu de ça, à mesure qu’elle perdait pied, la candidate du Front national s’est réfugiée dans une ironie grinçante. S’il y a eu un vainqueur hier soir, c’est moins sur une ligne politique que sur une ligne de conduite.

Frédéric Says

L'équipe