

Impôt à la source, vitesse abaissée à 80 km/h, affaire Benalla... Le Premier ministre monte au front sur les sujets les plus sensibles.
Il est l'homme des missions difficiles, sinon des basses besognes. Le Premier ministre a dû se charger hier soir d'assumer devant les caméras de TF1 la décision de maintenir le prélèvement à la source au 1er janvier prochain. En dépit des risques de bugs.
Sur ce dossier, c'est pourtant le chef de l’État qui a tranché. La réunion technique d'arbitrage hier s'est d'ailleurs déroulée à l’Élysée. Oui mais... Emmanuel Macron a lu Machiavel. Il lui avait même consacré un mémoire pendant ses études. Et il n'a pas oublié ce conseil du penseur florentin : pour conquérir une principauté puis la conserver, il faut faire deux choses. D'abord, éteindre la lignée des dirigeants précédents (de ce point de vue, l'état actuel du parti socialiste n'inspire guère de crainte). Et surtout, écrit Machiavel, le nouveau souverain surtout pas "altérer les modes d'imposition" (Le Prince, chapitre 3). En d'autres termes ne pas bouleverser les attitudes fiscales, faute de quoi on s'expose à la colère du peuple.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu’Édouard Philippe monte ainsi au front pour justifier une mesure compliquée...
La limitation de la vitesse à 80 km/h, c'est aussi le Premier ministre qui l'a défendue publiquement dans les médias. Emmanuel Macron, lui, s'était fait discret sur la mesure. Et même sceptique, en privé, à en croire des indiscrétions du Canard enchaîné... Exactement comme pour le prélèvement à la source.
Autre exemple, au moment de l'affaire Benalla. Emmanuel Macron attend cinq jours avant de s'exprimer devant les députés de sa majorité. Édouard Philippe, lui, a dû intervenir dès le lendemain des révélations, face au Sénat. Puis il a répondu aux deux motions de censure à l'Assemblée nationale. Comble de la situation, les accusations s'orientaient pourtant vers la garde rapprochée du président, vers l’Élysée, vers la préfecture de police, bref... à peu près tout le monde sauf Matignon. Ses partisans l’appelleront un démineur ; ses opposants un fusible. Dans les métaphores mythologiques un peu limitées qui ont cours, si Jupiter détient la foudre, alors Édouard Philippe est son paratonnerre. Cela ne lui porte pas préjudice pour l'instant. Dans les dernières enquêtes d'opinion, il est même devenu plus populaire (ou en tout cas moins impopulaire) qu'Emmanuel Macron. Et ce, même au sein des sympathisants En Marche. Le Premier ministre, boxeur amateur à ses heures perdues, a compris l'importance de parer les coups. Outre le fait de protéger l'exécutif, cela lui permet aussi d'asseoir une existence propre, loin de l'ectoplasme tendanciellement moulé par l'esprit de la Vème République.
Pourquoi Emmanuel Macron laisse-t-il ainsi son premier ministre porter les mesures les plus impopulaires ?
Il faut d'abord nuancer. Nuancer cette idée d'une répartition binaire entre un chef de gouvernement préposé au jet de tomates et un chef de l’État à celui de pétales de rose. Par exemple, Emmanuel Macron est monté en première ligne pour un changement très impopulaire - notamment chez les retraités - la hausse de la CSG. Rappelez-vous, il avait eu ce mot :
"J'ai beaucoup de considération pour nos aînés. Donc je leur dis 'merci', et je leur dis une chose : je n'ai jamais pris les retraités pour des portefeuilles".
Il est vrai que la hausse de la CSG figurait dans le programme du candidat Macron. Mais la prudence face à la plupart des sujets impopulaires ou piégeux s'explique aussi par une certaine méfiance vis-à-vis de la postérité. Oh, pas celle de dans un siècle ; mais celle de dans quatre ans. Comme à chaque fin de mandat, il y aura les bilans, les rétrospectives en images. Pas uniquement sur les chaînes de télévision, mais aussi sur les réseaux sociaux, où les partis politiques produisent leurs contenus audiovisuels. Or, pour évoquer l'impôt à la source, ils ne trouveront que des images de... Édouard Philippe. Lequel ne sera d'ailleurs peut-être même plus Premier ministre à cette date. C'est donc une stratégie intelligente d'un point de vue politique. D'ailleurs, un bref regard dans le rétroviseur suffit à s'en convaincre. En septembre 2012, François Hollande, en direct à la télévision, promet "l'inversion de la courbe du chômage d'ici un an". Il commet là une lourde erreur, et produit l'image de son échec. Tout seul. Les adversaires n'ont plus qu'à se baisser pour ramasser. Ce jour-là, il eut été plus inspiré d'envoyer Jean-Marc Ayrault à sa place.
Voilà pourquoi Emmanuel Macron se sert d'Edouard Philippe. Le chef de l’État en est visiblement convaincu : un premier ministre ne s'use que si on ne s'en sert pas.
Frédéric Says
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