

Le "barrage" face au Rassemblement national est inégalement appliqué selon les communes.
Il est des termes dont on sent instinctivement qu'il appartiennent déjà au passé, qu'ils renvoient à une époque récente mais révolue.
Par exemple : « gauche plurielle », ou « constitution européenne », ou encore « températures froides au Pôle Nord » (on plaisante pour la dernière, mais de moins en moins).
Ne faudrait-il pas ajouter à cette liste le « front républicain » ?
A quatre jours du second tour des municipales, la question se pose.
Certes, le concept n'a pas disparu, mais son application concrète semble plus difficile que jamais.
Il en va ainsi à Perpignan. La capitale des Pyrénées-orientales est courtisée par Louis Alliot, le candidat du Rassemblement national, arrivé largement en tête au premier tour.
En face, la plupart de ses adversaires se sont retirés, afin de ne pas éparpiller les voix, pour permettre précisément un report des votes vers le candidat de la droite, Jean-Marc Pujol. Une sorte de « Tout sauf le Rassemblement national ».
Fissures
Sauf que cette muraille, maintes fois éprouvée pour « faire barrage », comme l'on dit, présente cette fois de sérieuses fissures.
Ainsi à Perpignan, plusieurs candidats présents sur les listes de la gauche et de la République en Marche, ont refusé de soutenir publiquement la droite face au Rassemblement national.
Plus inédit, certains d'entre eux ont même annoncé leur ralliement à Louis Alliot. C'est même le cas du n°3 de la liste La République en Marche !
En somme, le Front républicain est au Rassemblement national ce que la ligne Maginot fut à la percée des Ardennes. Assez peu efficace.
Et si Perpignan est sans doute le cas d'école le plus brutal, les mêmes hésitations s'observent dans d'autres villes, comme à Marseille, dans le 8ème secteur, ou à Givors, dans le Rhône.
Comment expliquer cette rupture du « front républicain » ?
On peut discerner plusieurs séries d'explications.
D'abord, les états-majors des partis politiques ont désormais moins de poids, moins d'autorité pour faire appliquer une consigne de manière uniforme. Ils sont d'ailleurs restés fort discrets sur la question.
Voilà pourquoi, localement, les candidats adoptent des stratégies à la carte.
Ensuite, parce que ces candidats suivent... leurs électeurs. Et ces derniers l'ont déjà contourné, le front républicain.
Ainsi, les sondeurs notent une assez forte porosité entre l'électorat de la droite et celui du Rassemblement national.
Mais elle existe aussi, dans une moindre mesure, chez les électorats de gauche. S'ils ne soutiennent pas le RN au deuxième tour, ils envisagent de s'abstenir... Ce qui fragilise naturellement la digue anti-RN.
Ce questionnement n'est d'ailleurs pas nouveau.
La remise en cause du Front républicain infuse depuis quelques années au sein des partis traditionnels. Au début des années 2010, par exemple, l'UMP (ex-appelation du parti Les Républicains) avait choisi comme stratégie de deuxième tour le « ni-ni » : ni gauche, ni FN.
Changement d'image
On peut supposer que cet abandon du barrage républicain est aussi lié au changement de visage opéré par le Rassemblement national.
Dans les années 90, Jean-Marie Le Pen défendait "l'inégalité des races" et "le détail de l'histoire". Aujourd'hui, sa fille se dit gaulliste et sociale.
Le RN fait sans doute moins peur. Il a lissé son discours et dilué le rejet qu'il inspire. Même si derrière la façade présentable, des candidats locaux sont régulièrement mis en cause pour des déclarations ou des publications racistes, antisémites ou homophobes.
Renforcer ou affaiblir ?
Enfin, si la stratégie du « Tout sauf le Rassemblement national » s'étiole, c'est aussi parce qu'elle est jugée contre-productive. "Désastreux", estime même Jean-Luc Mélenchon, cité par Le Monde (abonnés).
L'alliance de partis que tout oppose passe pour de la tambouille politicienne.
Elle accrédite même la complainte du Rassemblement national : l'idée d'une « manœuvre du système » pour altérer le choix démocratique des électeurs.
Ce qui revient à renforcer le RN en prétendant l'affaiblir.
Le Front républicain n'est pas mort, il fonctionne encore dans de nombreuses communes. Mais le simple fait qu'il ne soit plus automatique, est un signe des temps qui risque de se confirmer dans le scrutin de ce dimanche.
Frédéric Says
L'équipe
- Production