L'entretien du chef de l'Etat au magazine économique américain a le mérite de la clarté.
Premier constat à la lecture de cette interview : non, la suppression de cette "exit tax" n’a pas été conçue comme une provocation au lendemain du 1er mai, comme on l’a beaucoup entendu. L'entretien a été réalisé - par visioconférence, précise le magazine - il y a trois semaines, le 13 avril... soit peu avant la visite d’Etat d’Emmanuel Macron aux États-Unis.
Dans cet entretien, Emmanuel Macron revendique son passage par la banque Rotshchild. Cette expérience du privé, dit-il, permet de comprendre l’état d’esprit des entrepreneurs. Le président français en profite d’ailleurs pour adresser une pique au MEDEF, sans le nommer… "Les représentants des entrepreneurs n'ont parfois pas les mêmes intérêts que les entrepreneurs eux-mêmes..."
Cette expérience du privé lui sert aussi à comprendre Donald Trump, affirme Emmanuel Macron, qui décrit le président américain comme un « deal maker », un "faiseur d'accord".
Cette empathie avec les entrepreneurs amène Emmanuel Macron à justifier la fin de l’"exit tax". Au moyen d’une métaphore nuptiale : quand vous voulez vous marier, vous n’interdisez pas à votre partenaire de divorcer… Eh bien c’est pareil pour le capital, explique-t-il en substance : pour l’attirer, il faut lui permettre de repartir. L’Etat est donc décrit comme un séducteur, qui doit se parer de ses plus beaux atours, notamment fiscaux, pour espérer être choisi par le détenteur de capital. Passions sur le fait que le trading à haute fréquence et les opérations boursières ultra-rapides tiennent moins du mariage que de l’aventure d’un soir…
La logique exposée au grand jour
On passe aussi sur une petite curiosité : dans la version anglophone de l’interview, Emmanuel Macron décoche quelques flèches contre EDF. Le président y qualifie l'électricien de "vieille entreprise traditionnelle", réticente à fermer des centrales au charbon. Curieusement, dans la version française de Forbes, cet extrait a été coupé.
Ce qui est intéressant dans cet entretien, c'est que la logique d'Emmanuel Macron est exposée au grand jour, elle ne se déguise pas. Dans cet entretien, il n’est pas question des "premiers de cordées" et autres éléments de langage destinés au public français. Face au magazine Forbes, quinzomadaire célèbre pour évaluer la fortune des milliardaires, Emmanuel Macron paraît dans son élément. Un peu comme Edouard Philippe, il y a quelques mois, qui assumait sa politique "pro-riches" dans le Financial Times. La couverture de Forbes ne dit d'ailleurs pas autre chose : on y voit Emmanuel Macron tout sourire, avec ce titre : leader of the free markets (qu'on pourrait traduire par "chef de file de l'économie libre"), par opposition au Brexit britannique et aux visées protectionnistes des États-Unis.
Emmanuel Macron revendique cette clarté...
« L’économie repose sur la confiance et l’assurance. Donc plus vous êtes clair sur vos intentions, plus vous serez efficace ». Dans un pays qui se méfie culturellement du capital et de ceux qui le possèdent, jamais un président n'était allé aussi loin. On est loin de Mitterrand et "l'argent qui corrompt". Loin aussi de François Hollande qui évoquait "les riches" en se pinçant le nez. Loin, même, d'un Nicolas Sarkozy devenu keynésien lors de son discours de Toulon...
Emmanuel Macron résume ainsi sa politique économique : baisse de la fiscalité des entreprises, suppression de l'"exit tax", diminution des cotisations patronales, fin de la complexité administrative, qu'il appelle un fardeau ("a burden" en anglais).
Tout est dit sur le ton de l’évidence. Le président français répète d’ailleurs par deux fois « there’s no other choice », il n’y a pas d’autre choix. Version à peine adoucie du TINA, there’s no alternative de Margareth Thatcher. Comme s’il ne s’agissait pas de choix politique mais de bon sens. On a peut-être là une illustration de que le philosophe québecois Alain Deneault appelle "l’extrême-centre".
Pourtant, Emmanuel Macron ne disait pas la même chose il y quelques années. Dans un article publié par la revue Esprit en 2011, le jeune banquier d'affaires et disciple de Paul Ricoeur, à l’époque, expliquait que la fiscalité était par définition un choix idéologique. Et qu’il fallait le présenter comme tel.
Il est visiblement des vérités qu’un banquier-philosophe peut se permettre... davantage qu’un président de la République.
Frédéric Says
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