Les discours de chef de l'Etat, destinés à la France, provoquent des réactions au-delà des frontières. L'avènement d'une "opinion publique mondiale" ?
Je ne parlerai pas ici du discours de ce soir : reconfinement ou pas ? On ne va pas disserter sur ce que pourrait éventuellement-peut-être-possiblement dire le président. Pour cela, il suffit d’écouter certaines télés et radios, qui claironnent sur leur "info exclusive" - bizarrement, c’est partout la même d’ailleurs... - pour comprendre que les ballons d’essais sont lâchés par le gouvernement. On va attendre ce soir 20 heures.
En revanche, intéressons-nous au précédent discours du chef de l’Etat. Celui prononcé dans la cour d’honneur de la Sorbonne, en hommage à Samuel Paty, l’enseignant décapité par un terroriste. Une allocution solennelle et émouvante, après l’entrée du cercueil accompagnée de la chanson One Love de U2. Au pupitre, Emmanuel Macron a déclaré ceci :
"Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d'autres reculent".
Et si cette phrase a tiré des larmes d’émotion dans l’assistance en France, elle a suscité des cris de colère dans d’autres parties du monde.
Voilà le paradoxe de ce discours : en France, il a créé une très rare union nationale, les mots d’Emmanuel Macron ont été salués, de la France insoumise au Rassemblement national. A l’étranger, il a provoqué un concert de protestations, de menaces, de boycott, de condamnations.
Bref, ce fut le discours le moins clivant d’Emmanuel Macron sur la scène nationale... et peut-être le plus clivant sur la scène internationale !
Mots-clés
Bien sûr, on connaît depuis longtemps la maxime de Blaise Pascal “vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà”. On pourrait le remplacer par “vérité en deçà du Bosphore, erreur au-delà”. Mais ce phénomène dit plus que cela. Désormais, tout chef d’Etat, tout responsable politique parle potentiellement en mondovision. Il s’adresse à son peuple, il est reçu par tous les autres.
Avec les réseaux sociaux, chacune de ses phrases circule en temps réel, elle est susceptible d’être isolée, transformée, sortie de son contexte ou mal traduite. L’indignation des opinions publiques fait le reste, elle offre à ces propos une publicité mondiale.
A cela s’ajoute la profusion des télévisions d’Etat, partout dans le monde. Contre le discours d’Emmanuel Macron, les relais les plus virulents ont été Al Jazeera, la chaîne du Qatar, et TRT, la chaîne gouvernementale turque qui diffuse aussi en langue arabe. Toutes deux ont inondé leurs publications des mots-clés suivant : “Tout sauf le prophète” (إلا_رسول_الله#) et “Boycott des produits français” (مقاطعة_المنتجات_الفرنسي).
Et voici autant d’internautes, autant de téléspectateurs chauffés à blanc !
N’est-on pas en train de revenir au temps où l’on diffusait les actualités au cinéma, juste avant la séance, avec voix nasillarde et force propagande ?
Polir
Voilà qui va changer encore plus l’art de la politique, la fabrique du discours pour les prochaines années. Là où les conseillers en communication politique, les rédacteurs, les "plumes" devaient polir chaque mot pour convaincre les Français ; ils doivent maintenant songer aux répercussions des phrases présidentielles sur d’autres continents - même pour les allocutions seulement destinées à la France. Nous assistons en fait à l’embryon d’une opinion publique mondiale.
Jadis, on disait qu’il ne faut pas “désespérer Billancourt”. Faudra-t-il maintenant chercher à ne pas “désespérer Ankara” ?
Frédéric Says
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