

Face à la contestation, l'Exécutif répond qu'il "entend". Jusqu'où ?
Depuis une semaine, l'actualité politique semble se dérouler dans un cabinet de spécialistes de l'audition. "J'entends la colère. Le mécontentement, nous l'écoutons" ont répété à l'envi Emmanuel Macon et Edouard Philippe, respectivement sur TF1 et RTL.
Un président attentif, nous vantent ses soutiens, après "l'itinérance" de la semaine dernière, de Reims à Maubeuge, de Pont-à-Mousson à Charleville-Mézières. Où l'on a vu Emmanuel Macron, prendre du temps, écouter les contestataires. En somme, tendre l'ouïe à ceux qui disent non.
Mais est-ce que cela ne vient pas trop tard ? Est-ce la débauche de proximité affichée ne montre pas, en creux, son absence jusqu'ici ? Le président lui-même hier soir sur TF1 a reconnu un échec :
"Il y a une chose que je n'ai pas vraiment réussi à faire : je n'ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants".
En somme, un malentendu entre la vie quotidienne des Français et celle du pouvoir. Mais dès lors, n'y a-t-il pas une forme de paradoxe à concéder qu'on n'a pas suffisamment écouté... tout en assurant que l'on garde le même cap ?
Emmanuel Macron reconnaît que les décisions ont été "trop souvent prises depuis Paris, pas assez sur le terrain". Malgré cette autocritique, rien ne change sur le fond. Ces décisions - mal construites, donc, à en croire le président -... Eh bien il les appliquera tout de même.
"Décidément, le pouvoir est dur d'oreille", semble déplorer l'opposition. Sans doute est-ce pour cela qu'elle parle si fort, ces temps-ci. Le député insoumis François Ruffin tutoie les records de décibels à l'Assemblée :
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Colère ou impatience ?
Mais que veut dire « entendre la colère » au juste ? Le verbe "entendre" a cela de pratique qu'il est polysémique. On peut le traduire par "percevoir un son" (les klaxons des gilets jaunes par exemple). Ou bien par "comprendre un phénomène" (d'où l'expression à bon entendeur, salut).
Il y a en politique ce qu'on pourrait appeler un syndrome Tryphon Tournesol, qui consiste à restituer très approximativement ce que vous venez d'entendre.
Par exemple, la "colère du peuple" est réinterprétée comme « l'impatience des Français ». De même, le "rejet d'une politique" est transformé en « manque de pédagogie sur les réformes ».
La tâche présidentielle n'est pas simple, évidemment. Il faut composer avec les plus bruyants tout en visant l'intérêt général ; or les deux sont rarement alignés.
D'où la tentation de l'oreille sélective. La politique est ce monde merveilleux où l'on parvient même à entendre des silences. Exemple avec Dominique de Villepin, alors Premier ministre [extrait sonore] :
"J'écoute ceux qui manifestent... mais j'écoute aussi ceux qui ne manifestent pas."
Le fonctionnement de la Vème république a sa part de responsabilité. Le président est indéboulonnable. Et avec l'avènement du quinquennat, sauf accident, les majorités restent en place cinq ans. Dès lors, l'Exécutif ressemble à un cuirassé qui fonce, ramenant la colère à quelques clapotis bien vite dépassés. L'ancien président Nicolas Sarkozy l'avait d'ailleurs résumé assez crûment [extrait sonore] :
"J'écoute... mais je tiens pas compte".
Alors cette formule un peu brutale résume-t-elle l'intervention d'Emmanuel Macron hier soir ? Assurément non : les mesures annoncées vont au-delà de la simple communication, elles sont pour certaines substantielles.
Pour autant, cela n'empêche pas que l'essence et le gazole vont à nouveau augmenter au 1er janvier prochain (+ 3 et 6 centimes de taxes). Sans oublier l'impact psychologique du prélèvement à la source, pour la première fois sur les fiches de paie à la fin du mois de janvier.
Dans ce contexte, le gouvernement est-il encore audible ? C'est en réalité la seule question, avant la manifestation de samedi. Quand Emmanuel Macron affirme qu'il "entend", est-il lui-même écouté ?
Frédéric Says
L'équipe
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