Le magazine ZADIG publie une longue interview d’Emmanuel Macron dans laquelle il décrit une France morcelée, victime de la désindustrialisation et de la métropolisation, phénomènes, dit-il, à l’origine de la crise des gilets jaunes. Il y déclare également son amour pour ces territoires délaissés.
A moins d’un an de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron se livre à une grande déclaration d’amour en direction des territoires qui constituent la France. Il aime leurs diversités, affirme-t-il, et quand il les sillonne, il emporte toujours avec lui des cartes en relief qui lui permettent, dit-il, d’appréhender instantanément leur réalité et de les comprendre. C’est ce qu’on peut lire dans une longue interview publiée hier dans le magazine trimestriel ZADIG.
Emmanuel Macron commence par quelques confidences… qui sont autant de souvenirs vécus dans les territoires où il a passé son enfance. A Amiens, tout d’abord, son berceau. Il nous raconte les heures, les jours, les années passées dans la bibliothèque de l’appartement de sa grand-mère. A Bagnères-de-Bigorre, dans Les Pyrénées, lieu de bonheur absolu avoue-t-il, il se remémore la pêche à la truite et les chars qu’il confectionnait pour la fête des fleurs de la commune.
Il y a là des souvenirs d’enfance mais aussi un message politique. Il veut faire entendre aux français qu’il n’est pas, ou pas seulement, un représentant de l’élite et de l’intelligentsia parisienne, que lui aussi a des racines, que lui aussi connaît la réalité de la province et de la ruralité.
D’ailleurs, il dit s’être aperçu, très vite, des difficultés de ces territoires, des dégâts engendrés par la désindustrialisation. Amiens, relate-t-il, est "passé du statut de capitale de région à celui de capitale de département" écartelée "entre Paris et Lille". Et Bagnères-de-Bigorre a connu l’effondrement de son industrie textile. "D’un seul coup, la ville s’est figée", raconte-t-il, ajoutant avoir connu des "cousins" qui ne trouvaient plus d’emplois. Il nous dit donc qu’il s’est aperçu très tôt du processus engagé qui a conduit à ce qu’est devenu la France aujourd’hui.
La désindustrialisation et la concentration de l'activité économique dans les métropoles ont créé les gilets jaunes
Emmanuel Macron se livre ensuite à une analyse des conséquences de cette désindustrialisation. C’est quelque chose qui est survenu "dans les années 80", constate-t-il, "qui n’a pas été compris" mais dont on voit les effets aujourd’hui : les sentiments de déclin, d’abandon, de déclassement.
Et il explique les transformations géographiques qu’a connues le pays. La désertification des campagnes, des vallées, la disparition des services publics, la concentration de l’activité dans les grandes villes. Disant cela, Emmanuel Macron reprend en partie l’analyse développée par l’historien Pierre Vermeren dans un petit ouvrage paru récemment, dont on a déjà parlé ici, et qui s’intitule "l’impasse de la métropolisation". Tout y est : la désindustrialisation du pays, la concentration des activités de services dans les métropoles régionales, la relégation des classes moyennes en périphérie de ces métropoles, les dizaines de kilomètres qu’il faut faire tous les jours pour aller travailler.
Et tout ça nous amène en 2018, à la crise des gilets jaunes. On sent que cette crise l’a marqué. Il en parle comme d’un tournant qui marque un retour de la violence dans la société. Avec cette crise, selon lui, notre pays aurait retrouvé un de ces fondamentaux que sont "les jacqueries" (Nous laissons aux historiens le soin d’analyser la justesse de cette référence).
A la suite de cette crise, Emmanuel Macron est parti à la rencontre des français et des territoires qu’ils habitent. Ce fut le grand débat un peu partout en France. Le président en a tiré un certain nombre de leçons. Le pays est morcelé, constate-t-il, chaque territoire a sa réalité, son rapport à l’histoire qui lui est propre. Pour autant, malgré cette diversité, le pays aspire à l’unité, affirme-t-il, tout comme il aspire selon lui à l’universalité.
Le vote en faveur de Marine Le Pen se concentre dans les territoires délaissés
Il se lance alors dans un message de confiance en l'avenir et adresse une longue déclaration d’amour à ces territoires abandonnés de la République. Il aime Figeac, dans le Lot, pour "sa capacité à se réindustrialiser", la ville de Marseille qui conservent d’importants "quartiers populaires". Il aime le département de la Seine St Denis qu’il compare à "la Californie sans la mer", parce que c’est là que se crée "le plus grand nombre de start-up par habitant". Il aime aussi la Bretagne, le Puy-de-Dôme et puis le Tour de France cycliste. Ca, il "adore", il trouve ça "génial". L’adrénaline. La vitesse. Les exploits. Les gens qui "se nichent partout" sur le bord des routes. C’est un moment, dit-il, où on peut "embrasser le pays et ses paysages".
En disant cela, Emmanuel Macron confirme qu’à la faveur du déconfinement, il va multiplier les déplacements et aller à la rencontre des français. En ce sens, il donne là le coup d’envoi de la campagne pour la présidentielle. Et puis on peut deviner, à travers cette interview, tout le sens politique de sa démarche.
Déjà, Il va essayer de faire savoir qu’il a compris d’où viennent les difficultés de la France et donc qu’il va tenter d’y remédier ou de continuer à y remédier. Sa cible, c'est l'électorat de Marine Le Pen puisque c'est dans ces territoires abandonnées qu'on vote le plus en faveur du Rassemblement National. On voit donc qu'il anticipe qui sera son principal adversaire. Il veut, au sein de cet électorat, on l’a déjà évoqué, gommer ou estomper cette image de président des villes et de président des riches qui lui colle à la cravate.
Et puis il va tenter de conjurer l'amer constat qu’il avait dressé quelques jours avant le début de la crise des gilets jaunes. Souvenez-vous, c’était le 14 novembre 2018, avec le journaliste Gilles Bouleau, depuis le porte-avion Charles de Gaulle. "Je n’ai pas réussi à réconcilier les français avec leurs dirigeants" avait-il avoué. Aujourd’hui, il nous dit qu’il n’a finalement pas renoncé à cette ambition. Il aspire à réconcilier les français avec son dirigeant, en l’occurrence lui, Emmanuel Macron.
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