

La victoire des nationalistes en Corse, la montée des régionalismes et des autonomismes interrogent la vision du chef de l'Etat, garant de la constitution.
On a parfois tendance, depuis le continent, à regarder les élections en Corse avec un soupçon de légèreté, voire de condescendance. Façon Astérix, où un vote corse consiste à remplir les urnes puis à les jeter à la mer, avant de s'expliquer virilement. On aurait pourtant bien tort d'observer le vote de ce dimanche comme une anecdote. La performance des nationalistes, proches des 50% dès le premier tour, ne peut être évacuée si prestement.... Même si les caméras se sont bien vite tournées vers d'autres actualités brûlantes, comme le baptême des pandas du zoo de Beauval.
Que s'est-il passé ce dimanche ? On peut d'abord lire les résultats comme l'indice d'un reflux de la vague macroniste. Le candidat de La république en Marche, pourtant bien implanté localement, ne totalise que 11% des suffrages. Les "insoumis" corses (alliés aux communistes, contre l'avis de Jean-Luc Mélenchon), rassemblent de leur côté moins de 6% des votes. Comme si, pour cette première élection importante depuis la présidentielle et les sénatoriales, les deux forces politiques montantes s’essoufflaient. Mais cette lecture est trop globale pour être satisfaisante, trop parisienne pour être précise. D'ailleurs, les candidats nationalistes corses ne sont pas apparus du jour au lendemain, pour recueillir on ne sait quel vote sanction. Depuis 2014, ils creusent patiemment leur sillon. D'abord avec la conquête de Bastia en 2014, puis celle des régionales de 2015, avant d'envoyer à Paris trois députés nationalistes sur quatre sièges. C'est donc une lame de fond, et pas uniquement une vaguelette conjoncturelle.
Quête d'une identité
Il faut lire l'article d'Ariane Chemin dans le Monde, qui montre bien comment l'exaltation de l'identité corse est venue remplacer un gaullisme un poil défraîchi dans l'île. La reporter s'est rendu à Orto, le village de Jean Colonna, qui fut un préfet de la République, proche de Jacques Chirac ; son fils, Romain, 35 ans, est candidat sur la liste nationaliste. Il se fait appeler "Rumanu", "même si ce prénom n'existe pas en Corse". Il regrette que son père préfet ait occulté son identité.
La quête d'une identité perçue comme opprimée par la culture française et l’État jacobin. L'exemple corse n'est peut-être d'ailleurs que le concentré de ce qui attend la République en d'autres territoires. Certes, de manière moins spectaculaire, moins passionnelle, moins ostentatoire.
Depuis le début 2017, 158 communes du pays basques français se sont regroupées en une collectivité unique. C'est désormais la première communauté d'agglomération de France en nombre de communes. Il s'agit d'un pas vers la vieille revendication d'un département basque, promise mais jamais réalisée. En Bretagne, c'est le prénom d'un bébé qui a crispé les débats : Fañch a été refusé par l'administration à cause du tilde (l'accent sur le "n", lettre utilisée en breton). Des élus se sont mobilisés, des pétitions ont été partagées, et le combat pour Fañch a donné une nouvelle vigueur aux défenseurs de l'identité bretonne - jusqu'à récemment tombée un peu en désuétude.
Partout, à des degrés divers, on constate ce regain régionaliste, comme si "Paris" était inapte à protéger et à comprendre. Comme le pouvoir central était perçu, à tort ou à raison, comme le relais d'une mondialisation qui écraserait les particularités locales ; qui organiserait la libre circulation des capitaux, des humains et des marchandises. Le tout sans boussole politique.
Le séparatisme est-il la grande question à venir ?
A 17.000 kilomètres de la Corse, la Nouvelle-Calédonie se prononcera en 2018 sur son statut : indépendance, autonomie renforcée, statut quo ? Comme pour la Corse, Emmanuel Macron hérite sur place d'un conflit décennal, malgré des médiations et des évolutions institutionnelles. La France doit-elle se préparer à changer de physionomie, à retracer ses contours ? Ce serait la première fois depuis 1977 et l'indépendance de Djibouti.
Dans ce contexte, Emmanuel Macron, pour l'instant discret sur le sujet, va devoir expliciter le sens qu'il donne aux six premiers mots de l'article 1er de la constitution : "La France est une république indivisible".
Frédéric Says
L'équipe
- Production