Emmanuel Macron met en garde contre des ingérences turques dans la campagne de 2022

Emmanuel Macron a dénoncé des "mensonges d'Etat" contre la France.
Emmanuel Macron a dénoncé des "mensonges d'Etat" contre la France.  ©AFP - France 5
Emmanuel Macron a dénoncé des "mensonges d'Etat" contre la France. ©AFP - France 5
Emmanuel Macron a dénoncé des "mensonges d'Etat" contre la France. ©AFP - France 5
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Le chef de l'Etat estime que les menaces "ne sont pas voilées".

Faut-il craindre que la Turquie cherche à manipuler le scrutin français de 2022 ? Oui, répond sans ambages Emmanuel Macron, c'était il y a deux jours sur France 5 : 

"Il y aura des tentatives d’ingérence pour la prochaine élection. C’est écrit, et les menaces ne sont pas voilées". (Emmanuel Macron avec Caroline Roux, dans C dans l'Air)

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La mise en cause d'un autre État est rarissime. Le plus souvent, elle se fait sous le sceau de l'anonymat. Elle nourrit des confidences publiées par exemple dans le Canard enchaîné.  

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il choisi d'être frontal ? Pour trois raisons. 

D'abord, il n'y a pas de risque de dégrader encore la relation bilatérale avec la Turquie. Elle est déjà au plus bas. Le président turc Erdogan avait même mis en cause la santé mentale de son homologue français.  

Peut-être Emmanuel Macron veut-il aussi mettre le sujet publiquement sur la table avant le conseil européen d'aujourd'hui et demain.  

Enfin, peut-être parce que le président a vécu, dit-il, une sorte d'avant-goût de ces manipulations, à l'automne dernier...

C'était au moment des hommages rendus à Samuel Paty, le professeur tué après avoir montré des caricatures en classe :

"On m'a fait dire des choses que je n'ai jamais dites (...) Il y a eu à l'automne dernier une politique de mensonges. Des mensonges d'Etat relayés par les organes de presse contrôlés par l'Etat turc, par certaines grandes chaînes contrôlées par le Qatar. La France a subi une offensive en règle politico-religieuse menée par des pays de la région, relayés par des organes de presse, des organes d'influence qui irriguent dans tout le Maghreb, le Machrek, l'Afrique... et en France".  

"Et en France" : c'est surtout ce dernier point qui inquiète le plus les stratèges macronistes.

Etiquette

Les médias de langue française contrôlés par des États étrangers se sont multipliés.

Ils sont parfois assez indétectables par le grand public. Le média dénommé "AJ+", par exemple, s'illustre par une grande sensibilité envers les droits des communautés lesbiennes, gay, bi et trans en Europe... eh bien il appartient à la famille princière du Qatar. Un État dont on ne peut pas dire qu'il montre la même sensibilité à ces thématiques.

Le même média accuse régulièrement la France et son gouvernement d'être hostiles à l'islam. 

L'exécutif français est plutôt démuni face à ces chaînes : avec leurs vidéos courtes et rythmées, elles essaiment via les réseaux sociaux - elles n'ont pas besoin d'une bonne vieille autorisation de diffusion, comme au temps de la télévision hertzienne.  

Et puis, comment faire le tri, entre ce qui relève de la propagande, ce qui relève du soft power (l'influence), et ce qui relève d'une ligne éditoriale engagée ? Pas toujours simple d'établir une différence.

Cela dit, les réseaux sociaux, eux-mêmes, ont commencé à agir. Ils préviennent l'utilisateur qu'un média est détenu par un État étranger. Twitter ne le fait pas encore pour le chaîne AJ+, curieusement, mais pour les médias russes Russia Today et Sputnik par exemple, une étiquette est apposée sur leur compte : « médias affiliés à l’État russe ».

En 2017, tout juste élu, Emmanuel Macron avait dénoncé publiquement ces deux organes.  

Il l'avait même fait au moment d'une conférence commune avec Vladimir Poutine.  

"Quand des organes de presse répandent des contre-vérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence (...) Russia Today et Sputnik ont été des organes d’influence durant cette campagne qui, à plusieurs reprises, ont produit des contre-vérités."

Le chef de l’État faisait allusion à des rumeurs le concernant, diffusées pendant la campagne présidentielle.  

Depuis son élection, le président de la République a aussi fait voter une loi contre les fausses nouvelles. Elle permet de faire retirer en urgence un contenu manifestement faux au cours d'une campagne électorale. Le Conseil constitutionnel a validé le texte avec quelques nuances.  

Champs de tirs croisés

Le combat n'est pas terminé - il se mènera aussi à coups de deepfake, ces vidéos animées par une intelligence artificielle, qui permettent de faire dire à peu près ce que l'on veut à qui l'on veut. Mais les méthodes sont parfois beaucoup plus rudimentaires : lire cette enquête (en anglais) du site Vice sur les efforts du ministère américain de la Défense pour élaborer un meme (une image virale) contre les hackers russes... sans grand succès. 

Au moment où les grandes puissances développent leurs contenus sur les réseaux sociaux, on peut craindre que les élections nationales deviennent toujours plus des champs de tirs croisés. Des batailles d'influence larvées.

L'enjeu, ce sera de pouvoir démontrer qu'une information est fausse, publiée à dessein pour changer une élection. Et pouvoir le démontrer rapidement. Tout cela sans attenter au droit de la presse, et à la publication d'enquête qui déplaisent, celles-ci fondées sur des éléments vérifiés. Pas si facile...

Dès lors, puissent les doses de désinformation inoculées jusqu'ici... faire office de vaccin démocratique.

Frédéric Says

L'équipe