Le chef de l'Etat a tenté de re-motiver les députés LREM et Modem, hier soir à l'Elysée.
Depuis le début du quinquennat, le président a dû affronter toute sorte d'épreuves : les gilets jaunes, les attaques terroristes, l'affaire Benalla, les crispations diplomatiques...
Mais jusqu'à présent, il pouvait au moins s'appuyer sur un pilier solide, une base robuste : le groupe parlementaire de la République en marche à l'Assemblée nationale.
Une base qui ressemblait d'ailleurs à un piédestal, tant les députés marcheurs ont rallié avant tout une personnalité, celle d'Emmanuel Macron, plutôt qu'une doctrine politique.
Or, c'est précisément ce piédestal qui se fendille, qui se fissure. Rien d'irrémédiable pour l'instant. Mais les départs se succèdent à bas bruit. Le groupe LREM a perdu en moyenne un député tous les deux mois depuis le début du quinquennat.
Surtout, la dimension affective qui unissait ce groupe - largement novice - et ce président - sorti de nulle part - s'est un peu grippée, à l'occasion du couac sur le congé parental pour deuil d'un enfant. Grippée et même abîmée.
Pour les marcheurs, passe encore qu'on les surnomme les députés godillots, après tout, n'ont-ils pas été élus pour mettre en œuvre le programme d'Emmanuel Macron ?
Passe encore les remontrances bruyantes venues des rangs de l'opposition, comme cette interpellation de François Ruffin, le député insoumis, dans l'hémicycle :
"Vous marchez seuls (...) seuls contre la rue, seuls contre les Français (...) Seuls, seuls, seuls, et c'est ainsi retranchés dans vos palais que vous prétendez réformer la France, en faisant rentrer la loi à la matraque".
Tout cela fait partie du jeu, ou plutôt du job, comme diraient certains de ces députés friands d'anglicismes. Mais que le désamour vienne du cœur du pouvoir, ça, ce n'est pas concevable.
Quand Emmanuel Macron a appelé à faire preuve « d'humanité » à propos du congé parental de deuil, les députés En Marche l'ont pris pour eux. Au fond, ils n'avaient qu'un tort dans cette affaire : avoir suivi aveuglément l'avis du gouvernement, de la ministre Muriel Pénicaud, en rejetant l'extension du congé parental.
Les voilà donc blâmés pour avoir été trop loyaux.
D'où une colère inédite, chez les bons élèves de la majorité, les laborieux, les disciplinés, les discrets. Un coup de gueule.
Autrement dit, les godillots sont prêts à marcher, mais il ne faut pas... marcher sur les pieds des godillots.
Voilà donc pourquoi Emmanuel Macron leur a consacré du temps hier soir. Du temps et de l'écoute. Ce ne fut pas un discours triomphant, jupitérien, s'abattant du haut vers le bas. Ce fut une discussion collective, horizontale, racontent les participants. Une sorte de grand débat interne au macronisme. Pour calmer la fronde et repartir du bon pied entre marcheurs. En un mot, parlementer avec les parlementaires.
Mais selon vous, cette soirée n'illustre pas seulement une maladresse ponctuelle de communication d'Emmanuel Macron...
Elle est aussi un symptôme de l'ambiguïté des rôles entre l'exécutif et la majorité sous la Vème République. Celle-ci confère des pouvoirs importants au chef de l’État, qui peut par exemple décider d'entrer en guerre sans l'aval du parlement, contrairement à d'autres démocraties.
Mais la constitution prévoit aussi que le gouvernement doit être soutenu par la majorité parlementaire, et que celle-ci peut renverser celui-là.
Or, depuis les années 2000, le calendrier électoral place les élections législatives juste après le scrutin présidentiel. Résultat : les députés nouvellement élus doivent tout, du moins doivent beaucoup, à la dynamique du nouveau chef de l’État. Ce qui n'est pas un gage d'indépendance, d'émancipation, de séparation des pouvoirs, au moins psychologiquement.
D'où la tentation pour tout président de considérer que LA majorité est SA majorité.
Nicolas Sarkozy la conviait d'ailleurs régulièrement à l’Élysée, pour lui administrer des conseils et des priorités. Ce qui avait fourni un argument à son adversaire, François Hollande, lors du débat d'entre-deux tours. C'était la présidentielle 2012 :
"Moi président de la République, je ne serai pas la chef de la majorité. Je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l'Elysée".
Mais la théorie du plateau télé a laissé place à la pratique des antichambres. Le président Hollande, désireux de tisser des liens avec les députés, mais contraint par sa promesse, avait finalement fait dans l'entre-deux : il avait reçu les parlementaires PS à l'Elysée, oui mais par petits groupes. L'art de la synthèse...
Dans l'organisation actuelle de la République, la cohabitation est devenue quasiment impossible. Et le parti au pouvoir n'a pas besoin de bâtir des coalitions... Dès lors, l'opposition est réduite à un rôle de protestation, d'obstruction, d'interpellation.
On l'a d'ailleurs bien vu, sous le mandat de François Hollande : il fut moins mis en difficulté par la droite que par les "frondeurs", c'est-à-dire par les récalcitrants de sa propre majorité.
Emmanuel Macron n'en est pas là, mais pour avoir vécu le quinquennat précédent de l'intérieur, il n'en sous-estime pas le risque.
Frédéric Says
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