

En 2017, une campagne peut se mener sans parti politique : voici le message qu'a adressé François Fillon à ses troupes, hier au Trocadéro.
Après avoir mis en cause la justice et la presse, François Fillon a opéré hier au Trocadéro un troisième coup de force : contre son parti.
Il faut d’abord couper le son et simplement regarder les images du discours. Elles sont parlantes, y compris de manière métaphorique. Qu’y voit-on ?
Une scène balayée par les vents et par la pluie. Des hiérarques trempés, encapuchonnés, dépités. Devant eux, un François Fillon, aspergé de toute part, mais droit comme un i, le regard déterminé. Autour du candidat, beaucoup de seconds couteaux - les premiers rôles se planquent ou sont partis - seuls Luc Chatel et François Baroin, la mèche pendante, représentent les ténors.
Remettons le son. François Fillon dénonce ceux qui ont déserté "sans honte et sans orgueil". Puis lance aux cadres de son parti :
Je continuerai à dire à mes amis politiques que ce choix, à la fois leur appartient, et ne leur appartient pas. Parce que ce choix est le vôtre, celui de vos suffrages".
Et voilà le coup de force. François Fillon utilise cette nouveauté historique à droite qu'est la primaire ouverte : pour la première fois, la désignation du candidat n’est plus tranchée par un comité central du RPR (années Chirac), ou par une primaire limitée aux seuls adhérents de l’UMP (années Sarkozy). C’est une primaire ouverte, celle du peuple de droite. Corolaire (établi par François Fillon) : ce que les électeurs de droite ont donné, eux seuls peuvent le reprendre.
Que fait François Fillon ? Il joue les électeurs de droite contre les élus. Il va même plus loin : il "désintermédiarise" la campagne. On pourrait presque dire qu’il l'ubérise. Il ubérise le travail traditionnel des partis politiques : le soutien, la mobilisation. Il met en concurrence les élus (cette profession réglementée, avec son numerus clausus, ses règles) avec les simples citoyens, devenus autant de relais de campagne puissants par la grâce des réseaux sociaux.
Par ailleurs, François Fillon brise le monopole du parti sur la mobilisation de masse, en choisissant un autre prestataire, le mouvement Sens commun, l’émanation politique de la Manif pour tous, qui s’est chargée du rassemblement d’hier.
Entre les lignes de son discours d'hier, François Fillon dit à son parti, à ses cadres : "en 2017, vous n'êtes plus nécessaires pour désigner un candidat, pas plus que pour le soutenir, le financer ou le révoquer".
Et cela semble fonctionner...
François Fillon a ligoté les appartchicks de son parti avec ses pelotons de militants, chauffés à blanc ; hier il leur a parlé "France éternelle, cathédrales et châteaux". Il n'a cité qu'un membre du gouvernement, pour le faire huer : Harlem Désir, cible symbolique parfaite pour son public, ministre de François Hollande, cofondateur de SOS racisme, partisan d'un multiculturalisme honni. Bref, il a parlé au cœur de la droite, presque à sa moelle épinière. "Mes amis, vous ne devez pas céder à l'inquiétude ou à la colère. Vous devez les transformer en formidable énergie pour célébrer et chérir cette France que nous aimons par-dessus tout" a demandé hier François Fillon à ses partisans. Sur le plateau du 20 heures de France 2, il a ensuite dénoncé un "hold-up démocratique", lié selon lui au calendrier judiciaire et à l'acharnement médiatique. Une rhétorique de la victimisation qui en rappelle une autre :
"J’ai les épaules larges moi. Ce n'est pas grave si les gens me critiquent. Plus je suis contesté, plus mes intentions et ma volonté d'agir sont renforcées, pour le bien de tous et pour le bien de ce pays extraordinaire."
lançait Silvio Berlusconi en 2009. La comparaison a ses limites, parce que François Fillon a les siennes. Hier, s’il a marché dans les traces du berlusconisme, il n’est pas allé jusqu’à dénoncer, en tout cas pas ouvertement, les "Toghe rosse", les juges rouges. En tout cas, pas cette fois-ci.
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