

Le départ de l'ex-ministre de l'Intérieur n'illustre pas simplement son irrépressible passion pour la ville de Lyon...
Il était le provincial, l'expérimenté, le prudent... et il le revendiquait. Comme jet-laggué dans le nouveau monde, dont il ne comprend guère la langue "start-up nation" - de son propre aveu. Si l'on voulait caricaturer, l'on pourrait même dire que Gérard Collomb symbolisait lui-même une survivance de l'ancien monde. Ancien monde ? Cette époque où une carrière politique réussie consistait en un épais mille-feuilles de mandats, cumulés dans le temps et dans l'espace. Cette époque, aussi, où l'escalier républicain imposait de gravir péniblement chaque étage (conseiller général puis maire, élu régional puis ministre). Tout ça, c'était avant l'ascenseur macroniste, qui a élevé au plus haut pouvoir une équipe ingénieuse et motivée. Les deux mondes sont-ils compatibles ?
C'est la question que pose l'explosion publique du pacte entre Gérard Collomb et Emmanuel Macron. Une explosion triplement inédite pour un ministre d’État, censé être le plus proche du président, le dernier grognard, le soutien ultime.
Inédite d'abord, cette démission annoncée dans un journal, puis réitérée malgré le refus présidentiel. Si le chef de l’État ne pouvait laisser partir son ministre pour incompatibilité d'humeur, il ne peut désormais le retenir sauf à accepter l'insolence.
Inédite encore, cette démission confirmée qui crépite sur les téléphones, hier après-midi à l'Assemblée, alors que le gouvernement, pris de vitesse, temporise et bluffe, à l'exemple de cette déclaration de Benjamin Griveaux :
"Le ministre d’État, ministre de l'Intérieur, se rendra à Rodez ce jeudi 4 octobre..."
Inédit enfin, un ministre qui annonce neuf mois à l'avance sa démission pour convenance électorale. Certes, des pactes de ce genre ont toujours existé. Mais ils étaient scellés dans l'intimité du bureau présidentiel. Le ministre, même s'il n'était pas dépourvu d'arrières-pensée, était donc officiellement uniquement à sa tâche.
Ici, Gérard Collomb a voulu ravir à Emmanuel Macron son titre auto-décerné de maître des horloges. Le président refuse sa démission, le ministre refuse son refus.
Chez l'ancien maire de Lyon, ce qui ressemblait à du dépit ressemble maintenant à du dégoût. Par cette interview, il semble nous dire qu'il n'a pas une minute de plus à rester dans ce gouvernement. La démission est devenue une rémission. Et le premier flic de France semble organiser lui-même son exfiltration.
« Libérez Gérard Collomb », ont crié les députés de droite, hier à l'Assemblée. Jadis les ministres suppliaient le président pour rester, désormais ils l'implorent pour partir. Pourquoi le placide Gérard Collomb a-t-il eu ce coup de sang ? Évidemment, l'affaire Benalla a enfoncé un coin avec le président, l'opposition s'est ensuite contenté de taper dessus. Sans oublier ceux qui croyant bien faire ont rajouté du vinaigre sur la plaie, à l'image de Daniel Cohn-Bendit, chez nos confrères de Franceinfo :
Monsieur Collomb a le droit à la retraite, qu'il quitte ce ministère, qu'il aille s'occuper de ses petits-enfants, des pâquerettes"
Officiellement, l'affaire Benalla n'était qu'une "anecdote médiatique", une "tempête dans un verre d'eau". Il faut croire que la tempête s'est muée en tornade. Cette affaire Benalla aura eu trois effets : diviser l'Exécutif, semer le trouble sur l'exemplarité, et jeter aux oubliettes la révision constitutionnelle.
Plus largement, ce divorce illustre la difficulté d'être un ministre de l'Intérieur dans le gouvernement du « Et en même temps ». Sur un sujet comme l'immigration, vous êtes un affreux laxiste pour les uns, un crypto fasciste pour les autres. Le siège de ministre de l'Intérieur est sans doute l'un des plus inconfortables de la macronie. C'est sans doute pour cela que les remplaçants potentiels ne sont pas pléthore.
Cette carence illustre chez En Marche l'absence de "banc de touche", comme l'on dirait dans les sports collectifs. Si l'on dézoome des questions de personnes, reste une réalité, peu agréable aux oreilles des macronistes. Depuis juin 2017, le chef de l’État a perdu un par un les membres de son "trident gouvernemental" : les trois ministres d'Etat du casting initial : Bayrou, Hulot, Collomb... diminuant d'autant son assise politique.
Frédéric Says
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