

Le mouvement de colère du 17 novembre traduit aussi l'affaiblissement des syndicats.
Il ne sera pas dit que le gouvernement n'a rien vu venir. A quelques jours de ce blocage du 17 novembre, c'est un branle-le-bas de combat qui s'est emparé de l'exécutif.
Des promesses d'abord : prime à la conversion automobile augmentée, aides kilométriques défiscalisées, chèque énergie multiplié... Le gouvernement pressent la tempête qui vient et se calfeutre, en espérant que ces mesures constituent d'étanches protections. Emmanuel Macron lui-même est sur le pont : celui du Charles de Gaulle, en l'occurrence. C'est sur ce porte-avions français que le chef de l’État répondra à TF1 demain soir dans le journal de 20 heures.
Mobilisation générale, donc, face aux gilets jaunes. Mais comment expliquer qu'un mouvement si flou, si indéfini, si virtuel pour l'instant, provoque une telle frousse dans les arcanes du pouvoir ?
On pourrait bien sûr développer sur le rôle des réseaux sociaux. Cette gigantesque machine à indignation. Elle stocke la poudre, il ne manque plus que l'allumette. En l'occurrence une pétition contre la hausse des carburants.
On pourrait aussi rappeler le rôle de Ségolène Royal. C'est elle, à la mi-octobre, qui sonne le tocsin contre les taxes, et qui provoque la fin de la léthargie médiatique sur le sujet :
"Cette taxation sur l'essence et le gasoil, c'est juste faire des impôts supplémentaires. Et utiliser l'écologie pour faire ces impôts supplémentaires, ce n'est pas honnête." (sur RTL)
Et tous les responsables d'opposition, de plus ou moins gros calibre, ont tenté de se greffer au mouvement, y compris avec des idées parfois inattendues. Ici Nicolas Dupont-Aignan :
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Une opposition qui se réveille, des réseaux sociaux qui s'emballent... Tout cela est vrai, mais ne suffit pas à expliquer ce phénomène. Ne voyez-vous personne d'autre qui manque à l'appel ? Les syndicats ! Ils sont les grands absents de ce mouvement de colère. Cette mobilisation géante s'est organisée sans eux, à côté d'eux, par devers eux. Jusqu'à présent, aucune manifestation d'ampleur n'était venue perturber vraiment le quinquennat Macron. Le traditionnel défilé avec pancartes entre-Bastille-et-Nation n'a pas fait trembler le pouvoir. Mais le cortège de voitures entre la zone industrielle et la rocade le fera-t-il plier ?
Effet boomerang
Ce mouvement du 17 novembre est en réalité un retour du boomerang pour les gouvernants. Depuis des années, à de rares exceptions près, ils n'ont cessé de marginaliser ce qu'on appelle les « corps intermédiaires ». Les pouvoirs successifs ont patiemment dévitalisé les syndicats, en les contournant, en les divisant, en les brutalisant, mais aussi en modifiant les règles de représentativité.
"Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s'en aperçoit"
revendiquait Nicolas Sarkozy d'un air réjoui.
Résultat : il n'y a plus personne aujourd'hui pour encadrer, pour rationaliser, pour organiser le mouvement de grogne. Chez les gilets jaunes, les revendications sont d'ailleurs éparses. Certains plaident pour l'annulation des hausses de taxes sur le diesel. D'autres demandent en prime la baisse de la CSG. D'autres encore veulent très sérieusement marcher sur l’Élysée, comme le raconte bien le reportage du journal Le Monde signé Aline Leclerc, qui a assisté à une réunion d'organisation, sur le parking d'un hypermarché en Seine-et-Marne.
Dans cette affaire, l’Élysée n'a pas d'interlocuteurs. La contestation syndicale a été en quelque sorte ubérisée, décentralisée à l'extrême. Elle se propage par des post facebook partagés. Et le classique mégaphone des syndicats a été remplacé par la vidéo coup de gueule en mode selfie.
Jacline Mouraud est-elle plus puissante que Philippe Martinez ? L'ampleur de la manifestation de ce samedi, et ses suites, le diront. Quoi qu'il en soit, elle ouvre une période de grande incertitude pour le gouvernement. Avec qui négocier ? Que faire devant ce mouvement incontrôlable et imprévisible ? On est loin des traditionnelles centrales syndicales, qui drainaient le mécontentement autant qu'elles le canalisaient.
Sans corps intermédiaires, c'est un seul-à-seul entre le gouvernement et le peuple. Et potentiellement un face-à-face.
L’Élysée, confronté aux gilets jaunes des automobilistes, pourrait finir par regretter les chasubles rouges des cégétistes.
Frédéric Says
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