Il y a un paradis fiscal à nos portes et nous regardons ailleurs

L'enquête "OpenLux" doit être publiée toute cette semaine dans le journal Le Monde.
L'enquête "OpenLux" doit être publiée toute cette semaine dans le journal Le Monde.  ©Getty -  Peter Dazeley
L'enquête "OpenLux" doit être publiée toute cette semaine dans le journal Le Monde. ©Getty - Peter Dazeley
L'enquête "OpenLux" doit être publiée toute cette semaine dans le journal Le Monde. ©Getty - Peter Dazeley
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Le journal "Le Monde", allié à seize autres médias internationaux, révèlent la "radiographie d'un paradis fiscal", le Luxembourg.

L'enquête s'étale à la une du site du Monde. Elle a mobilisé plusieurs dizaines de journalistes européens pendant près d'un an.  

Le nom de cette affaire : « OpenLux ». Lux comme Luxembourg.  

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On y découvre comment cet Etat, notre voisin, s'est progressivement fait une spécialité d'accueillir des filiales et des fonds, attirés par des conditions fiscales clémentes, pour faire dans l'euphémisme.  

Bien sûr, chacun savait déjà que le Luxembourg n'était pas exactement guidé par le marxisme-léninisme. Mais c'est l'ampleur du phénomène qui interpelle. 

Selon Le Monde, parmi les entreprises commerciales enregistrées au Luxembourg, la moitié sont des sociétés offshore.

Elles totalisent 6 500 milliards d'euros d'actifs. Pour avoir un ordre d'idées, c'est près de trois fois la richesse nationale produite en France pendant un an.  

Les journalistes du Monde et de seize autres médias ont cherché à connaître les propriétaires de ces sociétés, qui sont à 90% des non-Luxembourgeois.  

Et la première nationalité, ce sont les Français. A la tête de 17 000 de ces entreprises, qui ne sont souvent pas plus qu'une boîte aux lettres immatriculée au Luxembourg.

Le constat est accablant, et pourtant il semble ne susciter aucune réaction.  

D'habitude, l'Assemblée nationale peut s'enflammer pour quelques millions de plus ou de moins dans un budget (pensez aux APL, aux allocations logement) ; mais ici, on parle de milliers de milliards d'euros. Et à quelques exceptions près, personne n'a levé la voix.  

Hier, au moment où ce dossier explosif est sorti dans la presse, il y avait plus de réactions sur le biceps (certes avantageux) d'Olivier Véran, le ministre de la Santé, qui s'est fait vacciner devant les caméras.  

Scandale fiscal d'un côté, silence politique de l'autre : comment expliquer ce paradoxe ?  

Il y a d'abord la force de l'habitude, qui confine à la résignation. Cette enquête n'est hélas pas la première du genre.  

LuxLeaks, PanamaPapers, OffshoreLeaks... cette dernière décennie a été constellée d'investigations aux noms ésotériques, qui ont contribué certes à faire avancer les législations, mais aussi à installer dans l'esprit public une forme de routine.  

Il y a ensuite l'effet Luxembourg. Dans l'imaginaire collectif, un paradis fiscal, c'est souvent une île à l'autre bout du monde, où l'on risque plus de subir une insolation qu'un contrôle fiscal.  

Et bien non : là, il s'agit de notre voisin, d'un ami, d'un allié, d'un pays cofondateur de la Communauté européenne.

Y a-t-il justement la volonté de ne pas se fâcher avec un voisin ? Un voisin influent... L'ancien premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker fut jusqu'à l'an dernier président de la commission européenne.  

La diplomatie française n'a toujours pas réagi à ces révélations. Elles ne sont « ni claires ni établies », nous glisse une source au ministère des Affaires étrangères.  

Une discrétion qui change, certes, des déclarations péremptoires, comme il y a pu en avoir par le passé [extrait sonore] : 

Nicolas Sarkozy, en 2010 : « Nous avons mis fin au scandale des paradis fiscaux ! »

L'excès d'enthousiasme sape la confiance publique. Mais l'excès de prudence, de silence, en l'occurrence, semblent valoir acceptation, voire approbation.  

Pourtant, dans ce dossier OpenLux, tout n'est pas à charge contre les institutions.  

Les journalistes du Monde l'écrivent : s'ils ont pu documenter la multitude de filiales implantées au Luxembourg, c'est grâce à une directive européenne.

Une directive de 2018, qui oblige les Etats à rendre publique l'identité des propriétaires réels de toutes les sociétés.  

Une autre directive, de 2015 celle-ci, avait contraint les banques européennes à déclarer leurs implantations, partout dans le monde, et le chiffre d'affaires qu'elles réalisent dans ces filiales.  

Mais ces petits pas vers la transparence trouvent encore leurs limites. 

D'abord parce qu'il est difficile d'imposer des lois à un paradis fiscal à l'autre bout de la planète.  

Et puis, même en Europe, il reste des entraves à cette transparence. 

Par exemple, les Etats ou les banques ont certes l'obligation de rendre publiques certaines données... Mais rien ne les oblige à les rendre facilement accessibles. Or, ça fait toute la différence.

« On a dû les recopier une par une à la main. Il n'existe aucun fichier unifié », m'explique le chercheur Gunther Capelle-Blancard, spécialisé dans les paradis fiscaux avec Anne-Laure Delatte et Vincent Vicard.  

Les journalistes européens ont eu la même contrainte - ce qui explique aussi que l'enquête ait pris un an. 

Autrement dit, la transparence c'est comme l'amour, il y a les déclarations et il y a les preuves.  

Voici un sujet dont pourraient s'emparer les candidats à la prochaine présidentielle. 

Comme pour la piqure d'Olivier Véran, ils auraient l'occasion de montrer les muscles, et ce serait sans doute plus utile. 

Frédéric Says

L'équipe