

Amers, déçus ou ambitieux, ils démissionnent, après avoir dit leur vérité.
Et de trois ! En trois semaines, trois responsables publics ont claqué la porte avec fracas. Nicolas Hulot a ouvert le bal. La députée En Marche Frédérique Dumas a quitté la majorité. Et hier, dans le journal Le Monde, c'est le premier adjoint socialiste à la mairie de Paris, Bruno Julliard, qui a rendu son tablier. Comment expliquer une telle épidémie ? Cette période de l'année est-elle propice aux départs mûrement réfléchis ? Juste après les vacances d'été - où l'on pratique le recul et l'introspection. Juste avant l'automne - et sa petite déprime saisonnière - qui voit donc les démissionnaires quitter leurs partis comme les feuilles se détachent de l'arbre ?
Ces démissions concernent bien sûr des partis et des échelons de pouvoir divers. Mais ce qui frappe, c'est la ressemblance de certains de leurs propos. Comme s'ils disaient quelque chose, au-delà des partis, de la politique d'aujourd'hui.
L'on sent d'abord le soulagement de parler enfin. Dans cette vie publique corsetée, scrutée, ultra-médiatisée, chaque désaccord est considéré comme une offense. Et c'est d'abord la souffrance du silence que soulagent ces démissionnaires. « Donner un avis non-conforme est perçu comme une fronde », regrette ainsi la députée Frédérique Dumas, qui annonce dans le Parisien aujourd'hui-en France qu'elle quitte En Marche pour l'UDI.
Dans le journal Le Monde, Bruno Julliard explique qu'il est « arrivé au bout de l'exercice, après avoir fait en sorte d’émettre ses réserves en tête à tête, mais jamais publiquement ». Nicolas Hulot a résumé les choses plus brutalement : "je ne veux plus me mentir". D'ailleurs, tous les trois sont dans le registre de la sincérité enfin retrouvée : « Je n'y crois plus, je ne veux plus faire semblant » soupire Bruno Julliard dans son interview.
Évidemment, la théâtralité n'est pas absente de ces sorties de scène. Elles font penser au maître du genre, l'ancien ministre Arnaud Montebourg, qui se voit en réincarnation de Cincinnatus :
Chez les démissionnaires, c'est un autre champ qui est labouré : le champ lexical de la fidélité aux idéaux. Autrement dit, s'ils partent, ce n'est pas parce qu'ils ont changé d'avis ; c'est la réalité qui a changé. « Les fondamentaux du macronisme ont été oubliés, déplore Frédérique Dumas, qui cite la volonté d'horizontalité, de débat et d'expérimentation exprimées à l'époque par le candidat En Marche ».
Chez Bruno Julliard, ex n°2 d'Anne Hidalgo à Paris, cela donne : « Je crois en la pertinence du projet sur lequel nous avons été élus en 2014, mais l'exécution est défaillante ».
L'électrochoc
« Quand tous les dégoutés sont partis, il ne reste que les dégoûtants », comme dit le proverbe. C'est pour cela que les trois démissionnaires lancent un appel au "sursaut" (Julliard) ; à l'électrochoc (Dumas) ; "pour que chacun se pose la question de sa responsabilité" (Hulot).
C'est le paradoxe de leur geste : se délester de tout son poids politique, tout en espérant peser de l'extérieur. Une manière de transformer une démission en rémission. Un échec en œuvre utile. Comme on transforme le compost pour des lendemains plus fertiles. Peut-être certains se sont-ils inspirés de cette scène du Président, avec Jean Gabin. (extrait sonore]
Jean Gabin, ici président du Conseil, conclut ainsi la tirade où il dénonce les puissances financières et les intérêts privés qui gangrènent le pouvoir. Tiens : on en trouve un lointain écho dans les propos de nos trois démissionnaires. Et c'est peut-être la partie la plus inquiétante de leurs arguments. Tous décrivent la difficulté à avoir de l'influence sur le cours des choses : Nicolas Hulot dénonce la présence des "lobbies" ; Frédérique Dumas insiste la prégnance de "technocrates hors-sol et cyniques". Ils décrivent en résumé le désespoir de tourner dans une cage à vide, de s'agiter pour la galerie. On déplore souvent le manque d'attractivité de la politique. En voici peut-être l'une de ses causes.
Frédéric Says
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