

Déclaration d'indépendance ou négociations : hier soir, le leader catalan Carles Puigdemont n'a pas voulu trancher. L'ambivalence est-elle une bonne stratégie ?
« On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ». Si un arbre était planté chaque fois que cette maxime politique est citée dans les éditoriaux (y compris ici-même), l'effet de serre ne serait qu'un lointain souvenir.
Pourtant, impossible de ne pas y repenser en écoutant hier soir le discours de Carles Puigdemont. Le leader catalan "assume le mandat (...) pour que la Catalogne devienne un État indépendant"... mais dans le même temps il "suspend" cette déclaration d'indépendance, pour ouvrir la porte à des négociations.
Ainsi, les indépendantistes auront bravé la police dans la rue, avec le référendum non autorisé. Mais ils n'auront pas défié jusqu'au bout les institutions dans l'enceinte du parlement catalan.
Est-ce une pause stratégique ? Ou le vertige devant la gravité de la décision ? S'agit-il plutôt d'un ultime doute, face à une société divisée ? Peut-être un peu des trois. L’ambiguïté est dès lors un moyen de garder toutes les portes ouvertes pour la suite.
Ambiguïté dans la conquête, ambiguïté dans la retraite. En 2006, Jacques Chirac fait le choix de promulguer une loi, tout en suspendant son application. Soit l'accélérateur et le frein en même temps, à propos du très contesté Contrat première embauche, le CPE.
Cette décision équivoque n'amène que la déception des deux camps ; ceux qui veulent tenir bon et ce qui réclament un retrait pur et simple du texte.
L’ambiguïté est facilement perçue comme une hésitation, une faiblesse, un apanage des caractères pleutres ou indécis. Elle est pourtant un instrument redoutable. François Mitterrand en usa plus que quiconque, lui qui repoussa sa candidature de 1988 jusqu'au dernier moment, afin de ne pas se commettre dans le bal des ambitieux. Voici ce qu'il disait quelques mois avant de se déclarer candidat :
Tout m'invite à me dire : "non, je ne serai pas candidat". Parce que ça va, je suis président de la République, j'aurai rempli ma fonction et je ne pousse pas l'ambition jusqu'à vouloir m'y installer à demeure. Interviendra-t-il des éléments pour me dire "c'est une erreur" ? Je ne peux pas le supposer...
François Mitterrand finit par se déclarer un mois avant le premier tour, et l'emporte. Cet attrait pour l'ambigu sera même couché sur son testament. A propos de ses funérailles, il écrit ainsi : « une messe est possible ». Jusqu'au bout, le président - agnostique revendiqué - aura refusé de choisir.
"Pouvoir"
L’ambiguïté de François Hollande est d'une autre sorte. Elle tient en un verbe, dont il truffe ses discours : "pouvoir". Ce verbe présente l'avantage de marquer à la fois la décision ferme... ou bien la possibilité, la simple hypothèse qui n'engage pas à grand-chose. Exemple dans ce discours devant le collège de France. Ne dites pas "nous ferons en sorte qu'il y ait", mais... "nous devons faire en sorte qu'il puisse y avoir" :
François Hollande : "que nous puissions" / Billet politique
21 sec
Et ce n'est là qu'une sélection resserrée : en un quart d'heure de discours, pas moins de seize occurrences du verbe pouvoir sous toutes ses formes. Cela dit, il est souvent utile de garder sa stratégie à couvert jusqu'au dernier moment. Encore faut-il qu'il y ait une stratégie.
Pendant tout le mandat de François Hollande, les exégètes passionnés et les ministres enamourés ont glosé sur les trésors d’ambiguïté du président, qui cachaient forcément un plan de bataille digne de Machiavel, de Sun Tzu et de Clausewitz réunis. Sur le mode : « Certes, pour l'instant on ne sait pas trop où il va, mais à la fin vous verrez ce que vous verrez ». Une théorie qui a pris fin le 1er décembre 2016 :
Alors Carles Puigdemont a-t-il eu raison de manier l'ambiguïté ? En d'autres termes : temporiser, feindre, gagner du temps, placer ses pions. Bismarck, cité par Philippe Braud, avançait ceci : « la patience est une qualité indispensable à l'homme d’État, il doit (...) ne rien précipiter (...). Le plus beau pâté, retiré trop tôt du feu, s'écroule ». Il reste à traduire le mot « pâté » en catalan.
Frédéric Says
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