Le Conseil Constitutionnel a partiellement censuré la loi sur les langues régionales votée par les députés le 8 avril. François Bayrou, dans une interview au magazine l’Express, affirme que ça fragilise le statut juridique des écoles sous contrat comme les écoles diwan et les ikastolas.
François Bayrou ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer la décision rendue vendredi dernier par le Conseil Constitutionnel qui a partiellement censuré la loi sur les langues régionales votée le 8 avril par l’Assemblée Nationale.
Dans une interview au magazine l’Express publiée hier après midi, le patron du MODEM parle d’une décision "dangereuse", "inconséquente" et qui génèrerait une situation "explosive". Autrement dit, les sages n’ont pas été sages, selon François Bayrou. Ils auraient même mis un sacré bazar en censurant l’article 4 de ladite loi sur les langues régionales. Article 4 qui prévoyait d’autoriser ce qu’on appelle l’enseignement immersif dans les écoles publiques.
L’enseignement immersif se pratique actuellement dans des écoles de droit privé sous contrat d’association avec l’éducation nationale. En Bretagne, ce sont les écoles Diwan, au pays basque, les Ikastolas, en Occitanie, Les Calendretas.
On y pratique l’enseignement en immersion, c’est-à-dire que les cours sont dispensés en langue régionale (les mathématiques, l’histoire, la géographie…etc...). Mais l’idiome local sert aussi pour les échanges au quotidien; Dans les écoles Diwan, par exemple, on parle aussi breton à la cantine et dans la cour de récréation.
L'enseignement immersif est contraire à la constitution
Ce n’est pas possible, a dit le Conseil Constitutionnel vendredi dernier, parce que dans la Constitution, à l’article 2, il est écrit que "la langue de la République est le français". "L’enseignement des langues régionales peut être prévu dans les établissements de service public ou dans les établissements associés, estiment les membres du Conseil Constitutionnel, mais à condition qu’il respecte les exigences de l’article 2 de la constitution".
Or, disent encore les sages de la rue de Montpensier, l’enseignement immersif ne se borne pas à enseigner une langue régionale, il "s’en sert comme langue principale d’enseignement" et aussi "comme langue de communication au sein de l’établissement." Et ça, c’est "contraire à la constitution". Autrement dit, l’enseignement immersif est contraire à la constitution.
Le sang de François Bayrou n’a fait qu’un tour. Cette décision mettrait en cause "des décennies d’effort" en faveur des langues régionales, explique-t-il au magazine l’Express, ajoutant qu’il ne laissera "pas faire". Il en appelle au président de la République qui, dit-il, doit se saisir de la question et il réclame une modification de la Constitution.
Pour éclairer ces propos, il faut rappeler que François Bayrou est un défenseur de longue date des langues régionales et il le dit à sa manière, en béarnais, comme par exemple ici, lors d’un meeting à Toulouse, en mars 2012 :
qu'ei fenit lo temps de la vergonha, que comença lo temps de la fiertat - il est fini le temps de la honte, commence le temps de la fierté
C’est donc une question de fierté, d’honneur. Ce serait en quelque sorte un combat personnel que mène François Bayrou en faveur des langues régionales.
D’ailleurs, c’est lui qui, lorsqu’il était ministre de l’éducation, en 1994, dans le gouvernement Balladur, avait offert la possibilité aux écoles qui pratiquent l’enseignement immersif de passer sous contrat d’association avec l’éducation nationale. Et une circulaire signée de sa main, l’année suivante, en 1995, avait offert la possibilité aux collectivités territoriales de les financer.
Seulement, sur le plan juridique, tout ça était très fragile. On s’en était aperçu en 2001, lorsque Jack Lang, devenu à son tour ministre de l’éducation, avait souhaité accorder aux écoles Diwan le statut d’établissement public. Le Conseil d’Etat avait été saisi et il avait brandit, à l’époque, le même argument que le Conseil Constitutionnel aujourd’hui : impossible. Article 2 de la constitution : "la langue de la République est le français". Et donc, dans une école de la République, la langue principale d'enseignement ne peut pas être une autre langue que le français.
Il aurait fallu ne pas donner au Conseil Constitutionnel l'occasion de se poser la question
On savait donc depuis au moins vingt ans que le statut juridique des écoles qui pratiquent l’immersion était fragile. Pour continuer à les faire fonctionner sans trop les inquiéter, il fallait donc simplement ne pas poser la question au Conseil Constitutionnel ou ne pas lui donner l’occasion de se poser la question. Or, c’est ce qui fut fait avec le vote de cette loi. Les régionalistes et promoteurs des langues régionales ont pris un risque. Ils ont offert l’occasion au Conseil Constitutionnel d’interpréter la Constitution et de dire le droit.
Les écoles qui pratiquent l'enseignement immersif ne vont pas forcément disparaître pour autant. Mais tout dépend du ministère de l’éducation qui peut maintenant s’appuyer sur cette décision du Conseil Constitutionnel. Il peut décider quelle école il accepte, ou il n’accepte pas, sous contrat d’association. Et à une école qui pratique l’enseignement immersif, il peut très bien désormais lui opposer la décision du Conseil des sages : "le droit dit que vous n’avez pas le droit".
Cela dit, l’actuel ministre, Jean Michel Blanquer, semble être plutôt d’humeur à temporiser. Il a assuré que les écoles Diwan ne sont pas menacées dans une interview au quotidien Ouest France, samedi, indiquant tout de même qu’il faudra peut-être que leur statut évolue suite à cette décision.
Quant au courroux de François Bayrou et à sa volonté de modifier l’article 2 de la constitution, il ne faut pas trop y compter. Jack Lang avait exprimé la même exigence en 2001 après l’avis du Conseil d’Etat. C’était il y a vingt ans et depuis, rien n’a changé.
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