En 2017, dans le projet de réforme des retraites du candidat Macron, il n'était pas question d'inciter à repousser l'âge de départ en retraite. L'équilibre financier du système, croyait-on, était garanti, et le futur président envisageait uniquement une réforme systémique vers un régime universel.
L'un des points de blocage et, peut-être, l'une des clefs de résolution du conflit qui se déroule actuellement sur la réforme des retraites est sans aucun doute la question de l'âge pivot fixé la semaine dernière à 64 ans par Edouard Philippe.
C'est cet âge pivot qui a mis en colère Laurent Berger, et qui a incité la CFDT et les autres syndicats qualifiés de réformateurs à rejoindre pour la journée de manifestation aujourd'hui, les contestataires de la CGT, de SUD... ou encore de Force Ouvrière.
L'âge pivot, c'est quoi ?
C'est tout simplement l'âge auquel on vous accordera une retraite à taux plein, 64 ans donc selon le projet du gouvernement. Ça signifie que si vous décidez de partir avant, à 62 ou 63 ans, vous acceptez une décote, c'est à dire qu'on vous applique un malus et vous percevez une pension amputée de quelques %.
Il s'agit donc d'une incitation à travailler plus longtemps, ce qui permet au gouvernement de dire qu'il ne repousse pas l'âge légal de départ en retraite.
Mais dans les faits, ça produira à peu de choses près le même résultat puisque ça conduit à considérer que si vous partez à 62 ans, vous prenez une retraite anticipée et donc, on diminue votre pension.
Ce n'est pas ce qui était prévu, au départ, en 2017, quand Emmanuel Macron annonce qu'il se livrera à une réforme systémique et universel des retraites en instaurant un régime par point. "Le problème des retraites n'est plus un problème financier", disait à l'époque le projet du candidat Macron, "et l'enjeu n'est pas de repousser l'âge ou d'augmenter la durée de cotisation".
Le président de la République était encore à peu près sur la même idée le 25 avril 2019 quand, au cours d'une conférence de presse, il commence à esquisser les contours de sa réforme :
Est-ce qu'il faut reculer l'âge légal qui est aujourd'hui à 62 ans ? Je ne crois pas pour deux raisons. La première, c'est que je me suis engagé à ne pas le faire. Et je pense que c'est quand mieux, sur un sujet aussi important, de faire ce qu'on a dit. Et pourquoi ? Parce qu'on fait une réforme beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, qui va permettre de corriger les vraies injustices du système. Et ça, c'est beaucoup plus profond, plus ambitieux, il ne faut pas le compromettre en bougeant l'âge légal. Et puis la deuxième raison, c'est que tant qu'on n'a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l'âge légal. Je veux dire : quand, aujourd'hui, on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu'on a une carrière fracturée, bon courage, déjà, pour arriver à 62 ans.
A l'époque, il explique aussi qu'il faudra malgré tout songer à travailler plus longtemps étant donné que l'espérance de vie continue d'augmenter. Et il évoque déjà un possible système de décote pour inciter à repousser l'âge de départ. Mais le Haut-Commissaire, Jean Paul Delevoye, est lui plutôt sur une idée de surcote pour ceux qui acceptent de partir plus tard.
A ce moment là, on est encore dans le flou. Ça ne génère pas vraiment de protestations. Rien ne presse. On commence tout juste à sortir de la crises de gilets jaunes. Il sera toujours temps d'ajuster et de préciser les choses.
Et puis, petit à petit, les choses se précisent. Jean Paul Delevoye rend son rapport au mois de juillet. Il y est question de l'âge pivot. ça commence à poser problème. Dans le courant de l'automne, l'inquiétude s'empare des syndicats et d'une partie de la population. Et la semaine dernière, Edouard Philippe sort du bois. Il dévoile que le projet de réforme contient bel et bien un âge pivot, à 64 ans, avec un système de décote pour ceux qui partent avant.
En l'espace de deux ans et demi, le problème des retraites est redevenu un problème financier...
En deux ans et demi, les contextes économique et politique ont évolué
A l'époque, en 2017, le Comité de Suivi des Retraites, qui se basait sur les travaux du Conseil d'Orientation des retraites, estimait qu'il n'y avait pas de problème financier, que l'équilibre du système avait été garanti pour un certain nombre d'années par les réformes successives précédentes.
Or, le Conseil d'orientation des Retraites a aujourd'hui révisé son pronostic. Il a publié le 21 novembre dernier un rapport qui prévoit un déficit à partir de 2025, compris entre 8 et 17 milliards d'euros. Et c'est sur quoi se basent les partisans d'un allongement de la durée de cotisation (dont fait partie de le Premier ministre) pour dire qu'il est nécessaire de combler ce déficit.
Une autre raison, plus politique, a infléchi la position du chef de l'Etat. Elle tient à la nature de l'électorat d'Emmanuel Macron et au fait que cet électorat a évolué.
De nombreuses enquêtes montrent que ceux qui soutiennent cette réforme des retraites sont pour une part les macronistes de la première heure, fidèles à Emmanuel Macron depuis 2017, et aussi une bonne part de ceux qui avaient voté François Fillon il y a deux ans et demi.
Et pour cette part de l'électorat issu de la droite, le chef de l'Etat apparaît comme le garant d'une certaine orthodoxie financière, garant d'un Etat économe et responsable. Et si Macron veut conserver ce socle d'environ un tiers des français qui le soutient dans la perspective de la présidentielle de 2022, il ne peut pas s'aliéner cet électorat.
(On voit au passage que cette question des retraites réactive, en quelque sorte, un clivage droite / gauche qu'on dit affaibli.)
Le résultat pour Emmanuel est qu'il y a un risque à lâcher du lest, voire à abandonner cette mesure d'âge qu'est l'âge pivot. C'est pourtant ce que réclame la CFDT et Laurent Berger qui a déclaré, avec de gros yeux tout noirs, que c'est une "ligne rouge".
C'est la raison pour laquelle les discussions à partir de demain s'annoncent difficiles. Autrement dit, on n'est potentiellement pas encore sorti de ce conflit...
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