La crise sanitaire réhabilite-t-elle l'Etat centralisé ?

Mario Draghi, le Président du conseil italien, a repris la main face aux régions pour gérer la crise sanitaire. (Ici le 17 février 2021 avant le vote de confiance du Sénat).
Mario Draghi, le Président du conseil italien, a repris la main face aux régions pour gérer la crise sanitaire. (Ici le 17 février 2021 avant le vote de confiance du Sénat). ©AFP - Alberto Pizzoli
Mario Draghi, le Président du conseil italien, a repris la main face aux régions pour gérer la crise sanitaire. (Ici le 17 février 2021 avant le vote de confiance du Sénat). ©AFP - Alberto Pizzoli
Mario Draghi, le Président du conseil italien, a repris la main face aux régions pour gérer la crise sanitaire. (Ici le 17 février 2021 avant le vote de confiance du Sénat). ©AFP - Alberto Pizzoli
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En Italie, en Espagne, en Allemagne, des doutes se font jour sur l'efficacité d'un système décentralisé en matière de santé publique.

La vie compte quelques mystères. Par exemple, existe-t-il des extraterrestres ? Ou : pourquoi la tartine tombe-t-elle toujours du côté beurré ? Ou encore : à quoi ressemblera le fameux “monde d’après” la crise sanitaire ? 

Sur ce dernier point, les changements politiques induits par cet événement historique sont bien sûr encore difficiles à discerner.

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On peut tout de même déjà observer quelques frémissements, quelques signaux faibles, quelques débats silencieux. 

Parmi eux, la question de l’Etat, de son utilité, de son pouvoir. Et plus précisément de l’Etat centralisé. 

Il a longtemps été décrit comme une machine à broyer les initiatives locales, un léviathan aussi lourd qu’aveugle, bref un boulet au pied, au point que Ronald Reagan, dans les années 80, eut cette formule célèbre : 

“le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes, il est notre problème”. 

Or, il suffit d’observer les débats qui germent dans différents pays pour se rendre compte que tout cela est en train de changer. 

Aux Etats-Unis justement, Joe Biden fait l’éloge du gouvernement. Il réhabilite l’Etat fédéral : “ce n’est pas une force étrangère installée dans une lointaine capitale, il s’agit de nous tous”, a déclaré le président américain il y a quelques jours lors de l’adoption du plan de relance.

Bien loin de son prédécesseur, Donald Trump. Dans sa bouche, Washington était devenu un gros mot, synonyme d’inefficacité (au mieux) et de corruption (au pire). 

Au contraire, d’après Biden, la crise a poussé l’Etat à révéler sa fonction la plus importante : "protéger le peuple américain".

Cette évolution ne s’observe pas simplement aux Etats-Unis...

En Espagne, le modèle décentralisé de santé publique est un échec. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le journal Le Monde, à l’automne dernier. Le quotidien raconte la guerre entre le gouvernement et les communautés autonomes, c’est à dire les régions, qui ont compétence sur la santé. Résultat : le pouvoir national voulait confiner, la région de Madrid ne voulait pas. Bras de fer, pendant que les morts s’amoncelaient. Et "lorsque le gouvernement a rendu aux régions le contrôle de l’épidémie en juin, les unes ont rouvert les discothèques, les autres ont imposé le masque jusque sur la plage, et l’incertitude et la confusion sont devenues le quotidien des Espagnols", écrit la correspondante à Madrid Sandrine Morel.

En Allemagne, pays réputé pour avoir plutôt mieux géré la crise sanitaire, l’organisation des pouvoirs publics est également interrogée. En particulier le système fédéral, qui veut que chaque Land ait un large pouvoir - y compris celui de décréter la fermeture des commerces ou des musées.

"La deuxième vague a démontré que le fédéralisme, si volontiers célébré par les contempteurs du jacobinisme à la française, a aussi ses limites en période de crise" analyse ainsi le correspondant du journal Le Monde, à Berlin. Thomas Wieder détaille : 

“lenteur des processus de décision, lourdeurs bureaucratiques, règles tellement changeantes d’un territoire à l’autre et d’une semaine à l’autre qu’elles finissent par devenir pratiquement illisibles pour la plupart des gens”. 

Un sondage récent indique que 53% des Allemands jugent que le système fédéral a été un handicap, contre seulement 19% qui y ont vu un atout. 

En Italie, à peine arrivé au pouvoir, le nouvel homme fort, Mario Draghi, a pris les commandes de la gestion de crise, au détriment des régions. 

L’un des premiers gestes du nouveau Président du conseil a été de nommer un général d’armée pour coordonner la lutte contre le virus. 

Le message est assez clair : pas de marchandages ou de débat avec les régions. Concentration du pouvoir. Même si le fait que Mario Draghi soit soutenu par une large palette des partis italiens aide à légitimer cette reprise en main. 

Et la France, dans tout cela ? 

Le système jacobin, encore largement centralisé, en matière de santé, a peut-être ici trouvé son utilité. 

Non pas que la centralisation ait évité les erreurs ou les fautes. Non pas qu’elle ait empêché, non plus, d’établir des décisions différentes selon les territoires, on le voit en ce moment avec Dunkerque et Nice. 

Mais à l’inverse, on imagine - en plus des incertitudes, en plus des polémiques liées au confinement - on imagine si chacune des 18 régions avait décidé seule de se confiner ou non, seule de fermer les commerces ou pas, seule de faire payer les tests PCR ou de les prendre en charge… 

Dans de nombreux pays, cette crise sanitaire a donc plutôt réhabilité l’idée de l’Etat central. Est-ce passager, le temps de la crise ? Le retour à la normale consacrera-t-il un retour au local ? 

Après la pandémie, voici l’un des effets secondaires - cette fois sur les institutions - qu’il conviendra d'ausculter.

Frédéric Says

L'équipe