La délicate entrée en campagne des présidents sortants

François Mitterrand annonce être candidat à sa réélection à la présidentielle le 22 mars 1988 sur Antenne 2
François Mitterrand annonce être candidat à sa réélection à la présidentielle le 22 mars 1988 sur Antenne 2 ©AFP - Georges Bendrihem
François Mitterrand annonce être candidat à sa réélection à la présidentielle le 22 mars 1988 sur Antenne 2 ©AFP - Georges Bendrihem
François Mitterrand annonce être candidat à sa réélection à la présidentielle le 22 mars 1988 sur Antenne 2 ©AFP - Georges Bendrihem
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En déclarant sa candidature, un président sortant change de statut. Il quitte en partie son costume de président pour revêtir un habit de candidat. Et ce n'est pas sans poser un certain nombre de difficultés qu'il convient de ne surtout pas négliger.

Emmanuel Macron hésite encore, dit-on, sur la date et sur la manière dont il annoncera sa candidature à un second mandat. C’est "pour bientôt" répètent depuis quelques jours de nombreux marcheurs qui se font l’écho de rumeurs en provenance de l’Elysée. Il y aurait une "fenêtre de tir" entre le 1er et le 15 février assurent ces colporteurs de la parole présidentielle.

Le président a fait savoir début janvier dans une interview au journal Le Parisien qu’il en avait “très envie”. Et la majorité boue d’impatience au point qu’elle a mis en ligne, hier, un site internet, avecvous2022.fr

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On n’y trouve à ce stade aucune photo ni aucune mention du nom d’Emmanuel Macron mais ce site est vraisemblablement destiné à devenir un outil au service de sa campagne. En tous cas, il est un signe supplémentaire que celui-ci se prépare à troquer le costume de chef de l’Etat pour celui de candidat.

Mais cette étape n’est pas sans risque. A l’Elysée, on craint notamment que sa déclaration s’accompagne d’une petite baisse dans les enquêtes d’opinion et que celle-ci enclenche une dynamique négative.

C'est probablement la raison pour laquelle Emmanuel Macron fait déjà campagne sans le dire. Il veut accoutumer les Français à sa candidature et faire de sa déclaration une formalité, une simple confirmation.

C’est déjà, sans doute, ce qui poussât François Mitterrand en 1988 à se déclarer candidat en répondant à une question du journaliste Henri Sannier à la télévision :

- Monsieur le président, êtes-vous à nouveau candidat à la présidence de la République ? - Oui... - Vous avez mûrement réfléchi ? - Je le crois...

De la même manière, Jacques Chirac surprit tout le monde, le 11 février 2002, un peu plus de deux mois avant le premier tour, en répondant à une question de son amie et maire de la ville d’Avignon, Marie José Roig.

Alors, chère Marie-Josée Roig, je vous le dis, vous m'avez posé une question directe et franche. Eh bien, j'y répondrai dans le même esprit. Oui, je suis candidat...

Si les présidents sortants sont ainsi tentés de banaliser leur déclaration de candidature, c’est aussi parce que cette figure imposée entraine un changement de statut. Jusqu’à ce moment-là, le président est encore celui qui incarne l’unité de la Nation, qui représente les Français dans leur ensemble. Une fois qu’il se déclare candidat, il redevient le partisan d’un clan, le représentant d’un camp ou d’un courant politique.

Changement de statut

Autrement dit, il quitte son piédestal. Et la transition est délicate à gérer parce que s’il assume pleinement d’être candidat, il ne bénéficie plus du surplomb que lui octroie la fonction de chef de l’Etat. C’est un peu ce qui arrivât à Valéry Giscard D'Estaing en 1981 :

Je ne serai pas un président-candidat mais un citoyen-candidat.

Et le citoyen-candidat fit une mauvaise campagne qui s’acheva par l’avènement de la gauche au pouvoir derrière François Mitterrand.

A l’inverse, Le Général de Gaulle, en 1965, se drapa dans son habit de président, se déclarant au tout dernier moment, refusant de s’abaisser à faire campagne. Il apparut alors distant et arrogant :

Aujourd'hui, je crois devoir me tenir prêt à poursuivre ma tâche, convaincu qu'actuellement, c'est le mieux pour servir la France.

Le résultat pour De Gaulle est qu’à sa grande surprise, il fut mis en ballotage par François Mitterrand. Même si son aura et son prestige dans l’opinion lui permirent de l’emporter, au bout du compte. Mais on voit bien le dosage subtil auquel doit veiller le sortant pour, à la fois conserver sa stature de président, bénéficier de cet avantage et revêtir l’habit du candidat.

Un autre écueil qu’il convient d’éviter est celui qui fait apparaitre l’ambition personnelle du sortant, son intérêt particulier à rester président. Il ne doit surtout pas laisser penser qu'il ne serait plus le dépositaire ni le garant de l'intérêt général.

C'est pourquoi tous prétendent exercer leur fonction jusqu'au bout, "jusqu'au dernier quart d'heure" selon la formule employée par l'actuel chef de l'Etat. C’est aussi probablement ce qui conduisit Nicolas Sarkozy, en 2012, à justifier ainsi sa candidature à un second quinquennat :

Ne pas solliciter à nouveau la confiance des Français, ce serait comme un abandon de poste. Est-ce qu'on peut imaginer le capitaine d'un navire, dont le bateau serait en pleine tempête, dire "bah non, je suis fatigué, je renonce, j'arrête" ?

L’argument n’a pas suffi puisque François Hollande réussit alors à convaincre une majorité de Français de changer de capitaine et de changer de bateau. 

Enfin, la dernière difficulté à laquelle est confronté un chef de l’Etat sortant est qu’il doit, d’un côté, défendre son bilan, assumer son action passée, et en même temps, en tant que candidat, porter un projet d’avenir pour justifier le fait qu’il postule à sa réélection. Et ce faisant, il s’expose à la critique, au reproche de n’avoir pas fait lors du premier mandat ce qu’il propose pour le second.

C’est donc pour toutes raisons que la déclaration de candidature constitue un évènement important et délicat. Evènement que les présidents sortants regardent tous avec appréhension et préparent avec beaucoup d’application.

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