

L’élection des députés à la proportionnelle - censée mieux garantir le pluralisme - fut maintes fois promise, rarement appliquée. Elle ne devrait pas non plus voir le jour d'ici à 2022, malgré l'engagement d'Emmanuel Macron.
Voici un enterrement qui ne fera pas pleurer grand-monde. A part peut-être dans le cercle obscur des passionnés de modes de scrutin.
Et dans le cercle, encore plus restreint, de ceux qui croient encore aux promesses politiques.
Ce sont nos confrères de France Inter qui l’ont annoncé hier : il n’y aura pas de réforme électorale d’ici à la fin du quinquennat.
Pourtant, en 2017, Emmanuel Macron avait promis :
"Je proposerai ainsi que le parlement soit élu avec une dose de proportionnelle.”
Bien sûr, pour expliquer ce renoncement, l’exécutif met en avant le calendrier bousculé par la crise sanitaire.
Mais à vrai dire, à contexte exceptionnel, décision banale. Car rien n’est plus courant sous la Vème République que l’abandon de la proportionnelle. Pourtant, tous ou presque ont promis de la mettre en œuvre. Par exemple François Hollande :
_"_Moi président de la République, j'introduirai la représentation proportionnelle pour les élections législatives (....) car je pense qu'il est bon que l'ensemble des sensibilités politiques soient représentées."
Tout comme cinq ans plus tôt Nicolas Sarkozy :
"Il me semble donc qu'on pourrait corriger à la marge ce mode de scrutin pour que tous les grands courants politiques puissent avoir des représentants".
Et pourtant, ces présidents y ont tous renoncé donc, jusqu’à aujourd’hui. Un écart systématique entre la promesse et les actes, qu’il nous faut interroger.
Pourquoi est-ce si dur d’instaurer la proportionnelle aux législatives ?
D’abord, il y a la crainte d’offrir un marchepied aux adversaires politiques. Quand François Mitterrand réalise la proportionnelle intégrale en 1986, ce sont pas moins de 35 députés Front national qui entrent à l’Assemblée. Et encore, à l’époque, le FN faisait des scores moins élevés qu’aujourd’hui… alors imaginez désormais la cohorte des amis de Marine Le Pen au Parlement. A l'époque, c'est finalement le Premier ministre de cohabitation, Jacques Chirac, qui rétablit le scrutin majoritaire, avec un redécoupage des circonscriptions (nous allons y revenir).
La deuxième crainte, c’est celle d’un gouvernement impossible. Qui dit proportionnelle, dit que chaque parti politique est représenté en fonction de son poids électoral. Résultat : une Assemblée beaucoup plus fragmentée, voire une majorité introuvable.
Curieusement, c’est une crainte qui n’effleure pas les candidats tant qu’ils sont dans l’opposition, tant qu’ils veulent conquérir la citadelle élyséenne.
Mais dès qu’ils pénètrent le Château, ils développent ce qu’on appelle un réflexe obsidional, c’est-à-dire un sentiment de forteresse assiégée. Mieux vaut donc conserver la muraille du scrutin majoritaire.
Et puis si cette dose de proportionnelle est tant promise et si peu réalisée, c’est qu’elle est très sensible.
Elle est au président ce que le nid de frelons est à l’apiculteur. Ça peut faire mal. Car pour mener à bien cette réforme, il faut redécouper la carte électorale.
Or, c’est le risque de nourrir des soupçons de tripatouillage, de charcutage, de manipulation. Ce qu’on appelle aux Etats-Unis le Gerrymandering, le fait de redessiner une circonscription à son avantage électoral.
Et puis réforme risquée, enfin, parce qu’elle prend du temps, de l’énergie.
Vous passez pour le président absorbé par les politicailleries, au détriment des sujets urgents du quotidien ; comme Louis XVI se passionnait pour les serrures du palais quand grondait la Révolution.
Raisonnement qui vaut encore plus en période de crise sanitaire et de relance de l’économie.
Voilà, pourquoi, ci-gît, une fois de plus, la réforme de la proportionnelle.
Frédéric Says
[Edit 9h55 : ajoute le rétablissement du scrutin majoritaire par Jacques Chirac]
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