La République à la carte

Edouard Philippe devant l'Association des départements de France, le 20 octobre 2017.
Edouard Philippe devant l'Association des départements de France, le 20 octobre 2017. ©AFP - Anne-Christine Poujoulat
Edouard Philippe devant l'Association des départements de France, le 20 octobre 2017. ©AFP - Anne-Christine Poujoulat
Edouard Philippe devant l'Association des départements de France, le 20 octobre 2017. ©AFP - Anne-Christine Poujoulat
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"Expérimentation", "différenciation", "décision locale"... Ce qui se cache derrière ce vocable prisé par le gouvernement.

Ce sont quelques phrases répétées, sous le sceau du bon sens, qui irriguent les discours de l'exécutif. « Il faut décider au plus près du terrain », « laissons la liberté de choisir aux acteurs eux-mêmes », ou encore « il faut tenir compte de la diversité des territoires ». En apparence, une philosophie positive, qui s'applique à bien des domaines.

Par exemple, à celui des rythmes scolaires. Semaine de 4 jours ou 4,5 jours ? Pas de décision nationale : le choix est renvoyé aux fameux "acteurs locaux". Chaque commune décide donc des rythmes de son école.

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Il en va de même avec la réforme du code du travail. Ce n'est plus une loi nationale qui décidera de l'organisation du travail, de sa durée, ce seront les branches. Et même les entreprises, si des accords sont signés, notamment sur les primes d'ancienneté ou le travail de nuit.

Au plus près du terrain, on vous dit. Même si, par parenthèse, les routiers et les dockers ont obtenu des dérogations à cette loi travail. Et les salariés de l'industrie pétrolière vont tenter aujourd'hui d'en faire de même.

Dernier exemple, le gouvernement ne veut pas toucher au mille-feuille des collectivités territoriales, mais il encourage les réorganisations locales : des regroupements de communes, des créations de métropole qui prennent la place des départements... Bref, selon l'endroit où l'on vit, le nombre d'institutions ne sera pas le même.

Le premier ministre assume d'ailleurs cette logique. C'était il y a trois jours devant l'Assemblée des départements de France :

"L'uniformité ne garantit plus l'unité de la nation. L'étape que j'appelle de mes voeux laisse la place à l'expérimentation, mais aussi à la différenciation".

Sus à l'uniformité, donc. Une sorte de République à la carte, où une partie des droits et des institutions sont le fruit de négociations, de particularismes, de tractations.

Les partisans du gouvernement y verront du pragmatisme. Ses détracteurs y décèleront des dérogations à n'en plus finir. Des cas particuliers qui sont à la loi ce que les niches fiscales sont au budget.

Toutes proportions gardées, il y a là un processus qui va à rebours de la Révolution, qui façonna la Nation - précisément - à coups d'uniformisation, de normes. L'obligation, par exemple, d'utiliser le mètre pour mesurer les distances.

Bien sûr, la République n'est pas menacée par la liberté de choisir localement des rythmes scolaires. Et sur le fond de chacune des réformes évoquées, chacun se fera son opinion. Mais on voit bien l'intérêt politique à agir de la sorte.

Établir la règle "au plus près du terrain", c'est multiplier la diversité des situations. Cela revient à créer des mini-lois qui s'appliquent à des mini-territoires. Et donc, de fait, diviser le corps social pour mieux régner.

Il est vrai que les tentatives de grandes réformes uniformes n'ont pas porté chance aux gouvernements qui les ont tentées. Le CPE a dû être retiré, les 35 heures n'ont jamais été abrogées, car le front du refus était facile à constituer. Dans le cas présent, la riposte est difficile, puisque personne n'est logé à la même enseigne.

Mais alors, si chaque collectivité, chaque entreprise, et in fine chaque individu, vit sous des normes différentes, que nous restera-t-il de commun ?

Frédéric Says

L'équipe