Le "barrage républicain" résistera-t-il en 2022 ?

"Faire barrage" contre l'extrême-droite ou pas ? A gauche, ce qui était un réflexe est désormais en réflexion.
"Faire barrage" contre l'extrême-droite ou pas ? A gauche, ce qui était un réflexe est désormais en réflexion.  ©Getty - Arterra
"Faire barrage" contre l'extrême-droite ou pas ? A gauche, ce qui était un réflexe est désormais en réflexion. ©Getty - Arterra
"Faire barrage" contre l'extrême-droite ou pas ? A gauche, ce qui était un réflexe est désormais en réflexion. ©Getty - Arterra
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Nombre de partisans d'Emmanuel Macron se sont indignés d'un dossier réalisé par Libération, ce week-end. Il donnait la parole à des électeurs de gauche hostile au vote-barrage contre Marine Le Pen.

Face au Rassemblement national, le barrage tiendra-t-il bon ? Il montre en tout cas quelques signes de faiblesse.  

Ce week-end, le journal Libération a choisi de donner la parole à des électeurs de gauche qui, en cas de second tour Macron – Le Pen, n'iraient pas voter.  

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En somme, ils trouvent le « vote utile » inutile. Et pour eux le barrage tient du mirage.  

Combien sont-ils dans ce cas-là ? Difficile à dire. Mais les sondages actuels, qui placent Emmanuel Macron et Marine Le Pen a moins de cinq points d'écart en cas de deuxième tour, montrent que ce n'est pas seulement une vue de l'esprit.

En politique, le vocabulaire en dit souvent plus que les longs discours.  

Il y a vingt ans, les mots « barrage républicain » étaient prononcés avec fouge et détermination - un côté barricade, poing levé, « le fascisme ne passera pas ».  

Il est intéressant de constater à quel point ce mot, barrage, a depuis perdu de sa force symbolique.  

Il est devenu plat, controversé, voire tourné en dérision. Certains moquent par exemples les « électeurs-castors », qui n'ont de cesse d'ériger des barrages ici ou là.  

Alors comment expliquer ce phénomène ?  

D'abord, la banalisation. 

A l'origine, le barrage était exceptionnel, comme pour retenir une crue qu'on n'aurait pas vu venir. C'est le "coup de tonnerre" du 21 avril 2002, selon l'expression de Lionel Jospin.

Mais depuis, l'exception est devenu la règle, ou presque : le Front national s'est à nouveau qualifié pour la finale en 2017. Il a aussi atteint le deuxième tour dans plusieurs régions en 2015 et dans les 130 villes lors des dernières élections municipales.

Bref, jadis, le FN au deuxième tour c'était imprévisible ; aujourd'hui c'est prévisible ; peut-être cela a-t-il émoussé le réflexe de résistance.

Peut-être est-ce aussi l'effet de la dédiabolisation, stratégie voulue par Marine Le Pen, pour se différencier de son père. Dès lors, fait-elle moins peur, y compris aux électeurs de gauche ?

Au lendemain du 21 avril 2002, le journal Libération publiait à sa une la photo de Jean-Le Pen avec ce slogan : « Non ! ».

Ce week-end, sa fille est placée dos-à-dos avec Emmanuel Macron, à la une du même journal, illustrant le doute de certains citoyens.  

En 2002 : un point d'exclamation. En 2022 : un point d'interrogation. Changement d'époque.

Sur ce délitement du barrage républicain, vous voyez encore deux autres explications...

Oui, pour expliquer ce « barrage au barrage », il y a une forme de course à la pureté militante - sur le mode : "je ne toucherai pas un bulletin de vote qui ne correspond pas à mes idées" (c'est pourtant le principe d'une élection à deux tours : au premier on choisit le meilleur, au deuxième le moins pire).

Et puis last but not least, derrière cette désaffection pour le vote utile, on entend aussi la déception d'une partie de la gauche envers Emmanuel Macron.

Ordonnances sur le code du travail et loi sécurité globale, ces électeurs ont l'impression que le « et de gauche et de droite », promis en 2017, s'est transformé en « et de droite et de droite ».

Dans les colonnes de Libé, certains de ces électeurs assument même de voter Marine Le Pen pour « casser le système » et provoquer un électrochoc, disent-ils.

Alors le barrage est-il destiné à craquer en 2022 ?

Il faut rester prudent : nous sommes à 14 mois du premier tour. Les sondages sont une photographie de l'instant. Et dans l'instant, le gouvernement essuie les controverses sur sa gestion de la crise sanitaire. Pendant que Marine Le Pen essaye de gommer ses aspérités et ne dit pas grand-chose.

Autrement dit, Emmanuel Macron essaye de prouver qu'il est carré et Marine Le Pen tente de s'arrondir. 

Avec la campagne électorale, ce sera autre chose : projet contre projet. Et aux électeurs qui tracent un signe égal entre les deux, les partisans d'Emmanuel Macron pourront rappeler que les lepénistes proposent la suppression du droit du sol, l'interdiction des signes religieux ostensibles dans la rue, et un référendum sur la peine de mort. Loin des équivalences rapides et paresseuses. 

Finalement, cette hésitation à faire barrage nous renseigne aussi sur l'état de la gauche aujourd'hui. 

Le débat est intéressant même s'il n'est pas nouveau. Est-ce que l'on combat mieux le RN en l'affrontant sur ses thèmes (avec des réponses différentes) ; ou bien en lui laissant une forme de monopole ?

Une partie de la gauche estime qu'Emmanuel Macron favorise le RN en abordant des thèmes comme le séparatisme ou l'insécurité.  

Ce raisonnement peut se défendre, mais il présente une faille concrète. 

Si l'exécutif s'est droitisé à ce point, s'il est désormais situé à "la droite de la droite", alors la gauche devrait avoir un boulevard ! Un champ libre absolu ! Elle devrait être à 40%, 50%, 60%... Or ce n'est pas le cas. 

Et c'est là que cette querelle sur le "barrage" est riche d'enseignements.

Faut-il ou pas bouder les urnes au deuxième tour ? En se posant cette question, la gauche part du principe qu'elle en sera éliminée.

Comme s'il fallait, d'avance, excuser une défaite plutôt que d'exaucer une victoire.  

Pourtant, rien n'est joué. Les différentes forces de gauche devraient chercher comment se qualifier pour la finale, plutôt que de savoir quelle équipe elles vont soutenir depuis les tribunes.  

En bref, délaisser les affrontements par tribunes interposées et réinvestir le terrain.

Frédéric Says

L'équipe