Le Garde des Sceaux, fusible de la République ?

Blocus des surveillants pénitentiaires devant la prison de Rennes-Vezin le 22 janvier 2018
Blocus des surveillants pénitentiaires devant la prison de Rennes-Vezin le 22 janvier 2018 ©AFP - DAMIEN MEYER
Blocus des surveillants pénitentiaires devant la prison de Rennes-Vezin le 22 janvier 2018 ©AFP - DAMIEN MEYER
Blocus des surveillants pénitentiaires devant la prison de Rennes-Vezin le 22 janvier 2018 ©AFP - DAMIEN MEYER
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De Badinter à Belloubet. Les gardes des Sceaux qui se sont succédé depuis 37 ans Hôtel de Bourvallais, place Vendôme, n'ont jamais eu la tâche facile.

Avec
  • Ludovic Piedtenu Journaliste, correspondant permanent de Radio France en Allemagne, ancien chef du service politique de France Culture

Il n'y a qu'à regarder la frise chronologique des titulaires, il est très rare sous la Vème République de rester plus de deux ans à ce poste, exceptés Jean Foyer sous De Gaulle, René Pleven sous Pompidou, Alain Peyrefitte sous Giscard, ou Elisabeth Guigou sous Chirac, Robert Badinter et Christiane Taubira avec 5 années en fonction sont donc quasiment des exceptions. Et la règle semble immuable, la place presque maudite, il n'y a qu'à rappeler les trente et quelques petits jours que François Bayrou y a passé au début de la Présidence Macron.

Hier, l'ancien Premier ministre Manuel Valls m'expliquait à quel point le poste était difficile :

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"Ce n'est pas un vrai ministère régalien comme on le dit pourtant ou comme on l'entend. Pas comme l'intérieur ou la défense. Vous n'avez pas la haute main sur tout. Vous êtes surtout constamment rattrapés par la pénitentiaire."

Qu'est-ce que la pénitentiaire ? 

Pas loin de 3 milliards d'euros chaque année, environ 40% du budget total du Ministère, cette administration pénitentiaire représente la troisième force de sécurité intérieure. Plus de 39 000 agents dont 28 000 comme personnels de surveillance dans les prisons, c'est un quart des effectifs de la police nationale.  Et depuis déjà de longues années, des flux de recrutement supérieurs à 2 000 surveillants chaque année. Plus de 8 000 agents supplémentaires par exemple depuis 2010. Mais le métier est si difficile qu'il y a constamment du renouvellement et qu'il faut donc en permanence former et recruter. 

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Le Ministère de la justice, longtemps contraint, est l'enfant gâté de tous les budgets depuis 2012. Mais cela ne suffit pas. La situation est telle que le besoin d'investissement est énorme. Et la population carcérale, pendant ce temps, ne cesse d'augmenter. 

Nos dirigeants politiques et nos parlementaires accumulent les rapports. Il n'y a qu'à déterrer par exemple le rapport de la commission d'enquête présidée par Jean-Jacques Hyest, intitulé "Prisons : une humiliation pour la République". C'était en l'an 2000. Près de 10 ans plus tard, son collègue sénateur, Jean-René Lecerf écrira en 2009 au moment du vote d'un projet de loi pénitentiaire présentée par la Garde des Sceaux d'alors, Rachida Dati :

"Bien des constats dressés dans ce rapport ont conservé toute leur actualité. Pourtant, poursuit-il, paradoxalement, peu d'administrations ont connu, au cours des dernières décennies, des mutations aussi profondes que l'administration pénitentiaire. Que l'on songe seulement à la situation des prisons au début des années 70 : alors, les surveillants n'adressaient jamais la parole aux personnes détenues, les journaux étaient interdits, l'aumônier, l'instituteur et le médecin étaient les seules personnes extérieures à l'administration pénitentiaire à entrer dans cet univers clos."

Et ce projet de loi pénitentiaire de 2009 est présenté dans ce rapport de la commission des Lois du Sénat comme "le premier débat au Parlement sous la Vème République d'un grand texte fondateur dans ce domaine".  Le temps passe. Le temps presse.

Depuis, un sujet a rattrapé les dirigeants : la radicalisation

Dans un contexte d'attentats terroristes, le pays se crispe et nos gouvernants sont tétanisés sur ce sujet. Unités dédiées, quartiers d'évaluation, isolement, aucune solution ne semble la bonne pour gérer les détenus radicalisés. Il a bien été crée un service de renseignement pénitentiaire au printemps dernier, à l'initiative de Christiane Taubira et finalisé sous Jean-Jacques Urvoas. Plus de deux ans donc après les attentats de janvier 2015. Mais ce service et ses 300 agents doivent prendre leurs marques et encore s'installer.

Selon les chiffres, il y aurait 500 détenus condamnés pour terrorisme islamiste. 800 détenus radicalisés en 2016, 1500 aujourd'hui. 

Pas de fumées sans feu dans les prisons. Le conflit social en cours, 8 jours, est en passe de devenir l'un des plus longs de l'histoire récente. Pour avoir des mouvements similaires ou plus forts, il faut remonter à 1988-1989, ou en 92 et 94. Autant dire que la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet doit se méfier, elle est à deux doigts d'entrer dans l'histoire.