"Le Grand Débat" : le jour d'après

Une femme regarde le Grand débat Elysée 2017 à la télévision le 4 avril 2017
Une femme regarde le Grand débat Elysée 2017 à la télévision le 4 avril 2017 ©Maxppp - PHOTOPQR/L'ALSACE
Une femme regarde le Grand débat Elysée 2017 à la télévision le 4 avril 2017 ©Maxppp - PHOTOPQR/L'ALSACE
Une femme regarde le Grand débat Elysée 2017 à la télévision le 4 avril 2017 ©Maxppp - PHOTOPQR/L'ALSACE
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L'idée d'un débat à 11 était plus que légitime. Ce "Grand Débat" a été, à la fois, l'occasion d'une respiration démocratique mais aussi l'expression d'un profond malaise démocratique en France à 19 jours du 1er tour de la Présidentielle.

Avec
  • Ludovic Piedtenu Journaliste, correspondant permanent de Radio France en Allemagne, ancien chef du service politique de France Culture

L'idée d'un débat à 11 était plus que légitime. Bien sûr qu'il faut que tous ceux qui ont franchi le barrage des 500 parrainages s'expriment et le fassent équitablement devant les Français. On pourrait même imaginer que tous disposent dans les médias du même temps de parole, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisque la stricte égalité ne commence pour les radios et les télés qu'à partir de lundi pour, seulement, pourrait-on dire, les 15 derniers jours de campagne. Nous sommes donc le jour d'après. Après la première expression de tous les candidats. 19 jours seulement avant le scrutin. C'est sans doute un peu tard pour se féliciter d'un moment de démocratie. Même s'il s'agissait quand même de cela. Ou disons à l'échelle d'une campagne d'une respiration démocratique. Le candidat Benoît Hamon qui sera notre invité dans quelques secondes parle de "démocratie intermittente". Bien c'en était hier soir une illustration. Si l'on ne vote que tous les 5 ans, hier les 11 candidats sont sortis de leur boîte presque simultanément pour y re-entrer 4 heures plus tard. Ciao, bye bye !

Nous n'avions jamais connu pareil débat et nous ne devrions pas revoir cela de sitôt. Même si France 2 ambitionne toujours de renouveler l'expérience le 20 avril prochain, la chose semble avoir du plomb dans l'aile. Alors on peut quand même se dire que nous avons collectivement avancé, progressé. Il y a 5 ans, pareil débat à 10 (il y avait un candidat de moins) était souhaité par France 2. Ecoutez ce qu'en disait la Première secrétaire socialiste de l'époque, Martine Aubry, soutien de François Hollande, aujourd'hui de Benoît Hamon. C'était le 4 avril, il y a très exactement 5 ans.

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Martine Aubry le 4 avril 2012 sur France Info

29 sec

Martine Aubry faisait allusion à ce débat sur l'Europe en 2005. Il y avait d'un côté quatre tenants du OUI, quatre défenseurs du NON. Les représentants des formations politiques étaient là. Ils étaient donc huit. C'était beaucoup plus lisible, car il y avait des intérêts convergents pour 4 protagonistes d'un côté, 4 de l'autre. Ce n'est pas un débat pour une présidentielle comme hier soir où chacun défend sa candidature. Et ce débat diffusé sur TF1 n'avait duré qu'un peu plus d'une heure. Les temps changent, ce débat a donc eu lieu. Même s'il y avait beaucoup de confusion. On pouvait s'y attendre avec 11 protagonistes. Certainement trop long : 4h. Là encore, certainement, diffusé trop tardivement : de 20h40 à 0h40.

Si l'on refuse une démocratie intermittente, c'est cela aussi l'enjeu : que le fond l'emporte sur la forme

Si l'on reprend encore les propos de Martine Aubry, qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? On n'a pas parlé d'environnement, de développement durable, disait-elle. Il a en revanche beaucoup été question d'Europe comme une très sérieuse ligne de clivage même entre les 11 candidats. Il a par exemple été abordé le dossier des travailleurs détachés mais à coup d'1 minute 30 par personne et avec 11 débatteurs, qui y a vraiment compris quelque chose ? Car si l'on refuse une démocratie intermittente, c'est cela aussi l'enjeu, que le fond l'emporte sur la forme. Il n'y a qu'à regarder ce qui a été le plus demandé hier soir sur le moteur de recherche Google. Septième plus forte question de la soirée : "Travailleur détaché c'est quoi ?" Je vous passe les plus forts résultats, il y aura de quoi blêmir. Allez, numéro 1 : combien mesure Jean Lassalle ? Qui est derrière MLP ? Qui est le mari de MLP ? Qui sont les soeurs de MLP ? Ou bien encore qui est la femme de Benoît Hamon ?

Voilà ce qui semble avoir occupé les esprits hier soir, à l'heure du zapping et de la politique spectacle, le candidat n'avait pas l'espace pour développer une idée, l'électeur devant sa télévision n'était même plus en capacité d'exercer un jugement. Franchement, à part catalyser la colère, servir de défouloir populaire, ce n'est pas néfaste pour la démocratie, loin de là, mais ce débat finalement semble être la manifestation que la démocratie va mal, que les institutions sont à bout de souffle, que la constitution de la Vème république est plus que contestée, que l'Europe montre plus que jamais qu'elle ne remplit pas son rôle.

Années charnières : 2001 mais aussi 2005

Vous savez, on enseigne dans les écoles aujourd'hui aux enfants que le monde et les relations internationales ont changé le 11 septembre 2001. On pourra aussi pour nous français retenir l'année 2005. En France, on dira peut-être dans quelques temps qu'il y a eu une forme de rupture cette année là qui a entraîné une profonde lassitude avec nos institutions, qu'il s'est passé quelque chose de grave en 2005...

Le 29 mai avec le NON exprimé majoritairement par les Français, non respecté par la suite et le 28 novembre 2005 voyait le jour une chaîne d'information en continu, BFM TV. La politique à l'heure de la Star Academy ou façon qui veut gagner des millions. L'information à l'heure de BFM TV. Le malaise démocratique d'aujourd'hui est peut-être né il y a 12 ans, en 2005.