

En ce début de campagne, les candidats rivalisent dans l'auto-flagellation. Dans quel but ?
Au delà des postures, des programmes et des clivages plus ou moins surjoués, ce qui marque c'est l'auto-dénigrement affiché par les impétrants. Il en devient presque suspect. Gênant. Et en décalage manifeste avec le parcours des candidats, dont la plupart s'imaginent un destin depuis leur plus jeune âge.
C'est ainsi que Manuel Valls ne cesse de répéter qu'il est tout sauf le favori à la primaire : tout juste un vague challenger, quasiment un inconnu...
De même, Arnaud Montebourg s'enfouit régulièrement le visage dans les cendres : "les gens ne me comprennent pas toujours", se lamentait-il hier soir dans l'émission Quotidien sur TMC :
"Il faut toujours être humble quand on s'exprime. Il faut toujours être capable de se faire comprendre ; je ne suis pas toujours sûr d'y parvenir..."
Vincent Peillon, lui, fait de la frugalité de sa campagne un argument politique. Passée de mode la figure du candidat sûr de lui, ostentatoire ? Les images des meetings en forme d'immenses sacres, façon Nicolas Sarkozy porte de Versailles en 2007, ont terriblement vieilli ; c'était l'époque où être favori, puissant, médiatique, donnait des assurances de l'emporter. Des qualités devenues autant de boulets au pied.
Désormais, les candidats revendiquent leurs défauts plutôt que de les masquer. A l'image de François Fillon, hier lors de ses vœux à la presse :
"Vous devrez faire, en 2017 comme avant, avec ma réserve et mes sourcils broussailleux. Dur travail !"
Alors le masochisme serait-il en pleine expansion parmi les politiques ? Ces temps-ci, les candidats, qu'on dit pourtant drainés par leur égo, fascinés par leur image, semblent passer leur temps à enfoncer des aiguilles dans des poupées vaudou à leur propre effigie.
Comment expliquer cette mode de l'auto-dénigrement ?
On peut entrevoir deux phénomènes, l'un conjoncturel, l'autre plus durable. Le premier, c'est la montée en puissance d'Emmanuel Macron ; lui qui organise des meetings à plus de dix-mille personnes, lui qui récolte des millions de budget de campagne sans coup férir (5 millions d'euros à ce jour, nous dit son équipe). Puisqu'il est difficile de le concurrencer sur ce terrain, autant s'en distinguer. Jouer la contre-programmation. Mettre en avant des campagnes de bric et de broc : "trois tréteaux et un micro", comme le résumait un proche d'Arnaud Montebourg ; "Nous, on n'a pas les millionnaires derrière nous", complétait un ami de Benoît Hamon. Suivez son regard : il faut montrer que l'homme populaire n'est pas l'homme du peuple.
L'autre aspect plus structurel tient à la formidable dévalorisation du politique. Raillé, dézingué, étrillé... au mieux sur le fond (sur l'impuissance de l'action publique), au pire sur la forme (son physique ou sur ses tics). Mieux vaut donc, pour le candidat habile, devancer la curée par un brin d'auto-dérision. D'ailleurs, à force de s'entendre dire qu'ils sont des nuls, des avortons impuissants, des arrogants théâtraux, on peut se demander si les responsables publics n'ont pas intériorisé ces critiques. S'ils ne les ont pas intégré à leur comportement pour mieux correspondre à l'air du temps, au souffle de l'époque qui déracine tout ce qui ressemble à un favori, à un gagnant, à un candidat fort. L'auto-flagellation comme principe de communication. 2012 fut l'année du candidat normal, 2017 sera-t-elle celle du candidat loser ?
Frédéric Says
L'équipe
- Production